En adoptant le 15 février 2019, l’amendement sur les Établissements Publics Locaux d’Enseignement des Savoirs Fondamentaux (EPLESF), établissements inter-degré, c’est un bouleversement de toute la structure de l’école et du collège que les député-es ont approuvé. Imposée en catimini, cette réorganisation avait pourtant déjà été rejetée à maintes reprises par toute la communauté éducative. Blanquer poursuit sa logique de mise sous tutelle des enseignant·es, de leurs pratiques, resserrant l’étau des savoirs pour lui fondamentaux, et la territorialisation de l’éducation nationale.
Un chef d’établissement aux commandes
Les EPLESF seront constitués de classes de collège et d’une ou plusieurs écoles du secteur, intégrant ainsi dans une même structure des élèves de la petite section à la troisième. Le/la chef-fe d’établissement exercera à la fois les compétences du principal et celles du directeur d’école. Il/elle sera épaulé·e par un-e chef-fe d’établissement adjoint-e en lien avec le premier degré.
Les EPLEI, les établissements publics locaux d’enseignement internationaux, (de la maternelle au lycée), avec des enseignements en langue française et étrangère seront réservés à « l’élite intellectuelle et économique, » : des élèves issu-es de familles françaises et étrangères tournées vers l’international. Ces établissements inter-degré entraîneront une rupture dans l’idée d’une même éducation pour tous les élèves, avec des surenchères de politiques locales et propositions de services supplémentaires.
La direction d’école : un vieux débat
Cette décision s’inscrit dans les préconisations de nombreux rapports et de projets de loi. Pour rappel, les directrices et directeurs sont des enseignant-es inscrit-es sur une liste d’aptitude après entretien. C’est un pair, sans aucune relation hiérarchique avec l’équipe, également en charge de classe, ce qui lui confère toute la légitimité pédagogique que n’aura jamais un-e chef-fe d’établissement. L’idée de transformer les écoles en établissements publics d’enseignement primaire (EPEP) vient du rapport Thélot. François Fillon, alors ministre de l’Éducation nationale, l’insère dans la loi de 2004. Elle prévoyait que « les établissements publics de coopération inter-communale ou plusieurs communes… ou une commune, peuvent, après avis des conseils d’écoles… et accord de l’autorité académique, mener pour une durée maximum de 5 ans, une expérimentation tendant à créer des EPEP. » Gilles de Robien prend la suite et tente de faire passer le décret d’application en 2006/2007 qui sera retiré face à l’opposition massive de la profession et de tous les syndicats.
En 2010, l’institut Montaigne, proche de J.-M. Blanquer, relance le débat des EPEP. Une seconde tentative échoue en 2011.
En 2015, Mmes Leloup et Caraglia, inspectrices générales, dans un rapport sur les circonscriptions du 1er degré, évoquent l’EPEP comme solution à leurs dysfonctionnements.
Depuis 2017, les rapports se sont multipliés :
Rapport Cour des comptes 2017 : « Dans le premier degré, associer les directeurs d’école à l’évaluation des enseignants par l’IEN ; donner aux directeurs d’école et aux chefs d’établissement la responsabilité, dans certaines limites, de moduler la répartition annuelle des heures de service devant la classe en fonction des postes occupés et des besoins des élèves ».
Août 2018 : rapport des députées Bazin Malgras et Rilhac qui souhaitent soulager les directeurs et directrices dans leur charge de travail et créer un statut pour professionnaliser cette fonction. Elles suggèrent que le collège soit à la tête d’un réseau rassemblant les écoles de secteur. Elles demandent la création d’un nouveau corps ainsi que la suppression des écoles maternelles et élémentaires au profit de la création d’écoles primaires.
Septembre 2018 : l’OCDE demande un statut, avec un supérieur hiérarchique capable de gérer une école autonome.
Octobre 2018 : le rapport Mauhourat et Azéma invite à regrouper les écoles rurales et les collèges dans des écoles du socle.
L’indépendance de l’école en jeu.
Avec ces EPLESF, Blanquer vise la continuité écoles primaires/collèges et part du postulat que ces établissements favoriseraient « l’apprentissage et la maîtrise du socle commun de connaissances par les élèves ». Il souhaite également répondre à la demande des directeurs et directrices en manque de reconnaissance. Selon lui, les solutions ne peuvent être uniformes sur tout le territoire. Il évoque des expérimentations, sur la base du volontariat, et sur proposition des collectivités en accord avec la communauté éducative. Dans le texte voté, il est prévu une convention, signée par le préfet et les collectivités locales, après avis de l’autorité de l’État compétente en matière d’éducation, sans précision : Dasen ? Recteur académique, de région ? Et il s’agit d’un simple avis. Ceux du conseil d’école ou du conseil d’administration du collège ne sont, eux, même pas mentionnés !
Ces établissements mettront le premier degré sous l’autorité du collège, les écoles primaires disparaîtront tout simplement, n’ayant plus d’existence administrative. Elles y « gagneraient » l’autorité hiérarchique qui, selon le ministère, leur faisait défaut. Comment le ministre peut-il prétendre répondre au souci de reconnaissance des directeurs et directrices en créant des écoles du socle ? Les principales et principaux adjoint-es doivent être issu-es du corps de direction. À l’avenir des passerelles entre directeurs-trices d’école et chef d’établissement seront éventuellement mises en place. Un statut ? Mais pour qui ? Pour combien ? Actuellement, plus de 45 000 collègues exercent des fonctions de direction d’école, alors que l’on compte seulement 5 300 collèges. Seul-es quelques « privilégié-es » seront « promu-es ». Une des « ambitions » de ce dispositif est évidemment d’opérer une économie budgétaire, par une réduction du nombre de postes de direction, mais aussi, en cas de regroupement d’écoles, par la mutualisation des effectifs, de favoriser la suppression de postes d’enseignant·es par le jeu des moyennes. Et cette économie sera d’ampleur : les écoles de 1 à 4 classes représentent 46,6 % des écoles primaires publiques.
Les équipes
Alors que les directeurs et directrices demandaient plus de reconnaissance et de temps pour effectuer leurs missions, le ministre y met fin ! Celles et ceux qui accèderont à la fonction « d’adjoint-e » du chef d’établissement auront une charge de travail majorée, ayant plusieurs écoles sous leur responsabilité. C’est la fin des missions que ces collègues plébiscitaient, à savoir coordonner l’animation d’équipe et être le lien privilégié avec les différents partenaires de l’école.
L’adjoint-e au 1er degré sera comptable de l’application de la politique Blanquer qui s’appuie sur deux fondements : l’évaluation et la performance. Cela accentuera l’individualisation et éclatera les collectifs de travail. Le fonctionnement propre à l’école sera bouleversé : dégradation des relations professionnelles au sein des équipes et avec les partenaires de l’école (parents, commune), remise en cause du fonctionnement démocratique du conseil des maîtres, fin du rôle d’animateur d’équipe pour le/la directeur-trice adjoint-e, transformé-e en administrateur et en manager. Un conseil d’administration sera ouvert à la représentation des personnels du 1er degré et des communes/EPCI. Ce C.A. ne remplacera jamais un conseil d’école d’autant que la représentation de tous les acteurs n’est pas prévue. Un conseil pédagogique ouvert à un-e enseignant-e de chaque niveau de classe, mais pas de chaque école. Ce conseil, réuni par le chef d’établissement risque d’être un outil contre la liberté pédagogique. Et de « vampiriser » le conseil écoles/collège et le conseil des maîtres.
Pour le second degré, la mutualisation, à dotation constante, des moyens administratifs et pédagogiques dégradera un peu plus la situation. Les collègues risquent d’être contraint-es de compléter leurs heures de service dans les classes de primaire. Comme cela se fait déjà et alors que notre ministre s’épanche dans les médias contre l’enseignement des arts ou des langues vivantes par les professeur·es des écoles.
Ce nouveau coup porté à la spécificité du fonctionnement et à l’organisation des écoles est une attaque sans précédent pour le premier degré, avec la remise en cause de son indépendance, de son statut, de la taille des écoles, du tissu scolaire et du maillage territorial, de la liberté pédagogique. Mais cela impacte également toutes les équipes des collèges (et des lycées avec les EPLEI), qui verront leur fonctionnement modifié, alourdi, les missions de chacun-e modifiées avec la mutualisation des tâches administratives, les échanges de service… Les IEN également verront tout un pan de leurs missions leur échapper. C’est donc bien au niveau fédéral que la bataille est à mener, rapidement, sans tergiverser avec les organisations syndicales qui refusent cette prétendue école de la confiance sous autorité caporalisante et managériale afin que l’éducation reste nationale.
Blandine Turki