E. Macron a confirmé, lors de sa conférence de presse du 25 avril, ses choix politiques en faveur des plus riches. Le projet de loi de réforme de la Fonction publique, actuellement en examen au Parlement, sert ainsi cet objectif de poursuivre l’adaptation de la France au néo libéralisme, en ouvrant largement la porte aux privatisations des services publics et en disqualifiant la dépense publique, présentée comme insupportable. Détricoter le statut de la Fonction publique, vider de leur substance les instances de représentations des personnels, affaiblir les organisations syndicales, mettre à mal les collectifs de travail, aligner le public sur le privé…Il ne s’agit somme toute que d’un vieux projet réactionnaire et anti social recyclé sous les apparences de la modernité. La Fonction publique territoriale a souvent été un laboratoire des déréglementations. Didier Bourgoin, secrétaire général du SNUTER-FSU, nous précise les enjeux de cette réforme.
Quelle analyse fait le SNUTER-FSU du projet de loi FP ?
Avant de faire l’analyse de cette loi de transformation de la Fonction publique, quelques éléments de contexte sont à prendre en compte pour mieux comprendre la situation en particulier pour le versant territorial de la Fonction publique. En effet, des articles ou des propositions de ce projet de loi concernent exclusivement la FPT et sont directement dirigés contre les agent.e.s territoriaux. Depuis plusieurs années, et en particulier ces derniers mois, les services publics territoriaux et les agent.e.s publics font l’objet de mesures régressives et d’attaques non dissimulées dont l’objectif est de remettre en cause un des piliers de notre modèle social solidaire : la Fonction publique. Avec une vision purement budgétaire portée par le dogme austéritaire de la baisse des coûts de fonctionnement, le gouvernement tente d’appliquer à la FPT une « RGPP à la sauce territoriale » dans le but d’atteindre son objectif de réduire les déficits publics : les 70 000 suppressions d’emplois dans le versant territorial en étant un des aspects, mais pas le seul. Ce gouvernement ne fait que poursuivre des politiques menées depuis de nombreuses années de remise en cause des services publics et dont les agent-es ont aussi fait les frais au travers du fameux « fonctionnaires bashing ».
Comment s’y prend-il ?
En demandant dans un premier temps (été 2018) aux collectivités locales de signer des contrats d’engagements financiers limitant à 1,2 % leurs dépenses de personnel contre l’assurance de percevoir les dotations financières de l’État qui leur permettent d’assurer « la bonne marche » de leurs services. Ensuite, en créant les conditions « statutaires » pour atteindre ces objectifs : c’est le projet de loi Fonction publique. Les agent-es, mais aussi les services, vont alors servir de variables d’ajustement.
Il est aussi, à ce stade, nécessaire de s’interroger sur le rôle (la stratégie ?) parfois peu clair de certains employeurs territoriaux dans l’élaboration des mesures les plus négatives de ce projet de loi. En effet, certaines d’entre elles ne peuvent se comprendre qu’ayant été présentées avec leur accord, voire à leur demande. Les employeurs territoriaux, souvent prompts à revendiquer l’art 72 de la Constitution et la libre administration des collectivités, vont-ils devenir le bras armé de l’État ? C’est l’un des axes du projet de loi de transformation de la Fonction publique qui contient des mesures dont les employeurs territoriaux vont se servir pour réduire leur masse salariale, un autre étant d’externaliser certaines missions dans le cadre de délégations de services publics : c’est le véritable projet du gouvernement !
Concrètement, quelles conséquences pour les agent.e.s territoriaux et les services publics locaux ?
Pour les agent-es territoriaux ce projet de loi contient des mesures :
• qui risquent de restreindre le périmètre d’intervention des services publics locaux en confiant au secteur privé des missions assurées aujourd’hui par les services publics : en clair des privatisations
• qui actent la remise en cause d’acquis sociaux pour les agents de la FPT,
• qui accentuent la précarité des emplois
• qui remettent en cause les fondements du dialogue social
• qui préfigurent une fonction publique d’emplois au détriment de la fonction publique de carrière que nous connaissons aujourd’hui
Le service public local n’est pas simplement prestataire de biens et de services mais aussi producteur de lien social et de citoyenneté. C’est ce qui explique l’attachement des citoyens à la notion d’un service public territorial qui remplit ses missions d’égalité et de solidarité : c’est une demande forte exprimée lors du Grand Débat. Déjà, par le passé, les différentes vagues de réforme ont été souvent l’occasion rêvée par certain-es d’externaliser missions ou activités, c’est-à-dire : privatiser. Les partisan-es de ces privatisations avancent les arguments du moindre coût, d’une meilleure efficacité et d’une plus grande « motivation » des agents-es. Cette vision des choses est purement idéologique et quantité d’exemples de privatisations d’entreprises publiques ou de services publics locaux nous démontrent le contraire : distribution de l’eau, transport, collecte des déchets, gestion des bâtiments, entretien, énergie, restauration, espaces verts, logement social etc… Les privatisations n’ont amené aucune amélioration de qualité de service, mais plutôt une restriction de la couverture du territoire, l’augmentation des coûts et l’exclusion d’une partie des usager-es par un phénomène sociologique : la gentrification.
Pourtant des collectivités réintègrent certaines missions dans le secteur public après les avoir confiées au secteur privé, deux exemples :
• à Vierzon où la commune a remunicipalisé la restauration scolaire pour un coût inférieur à l’ancien prestataire privé.
• après sa décision de changer de mode de gestion de l’eau en optant pour une régie municipale, la ville d’Annonay a changé les tarifs : le prix du mètre cube d’eau a baissé de 23 %. Pour la part fixe correspondant à l’abonnement eau et à l’assainissement, la tarification a baissé de 36,8 % !!
Le SNUTER-FSU est opposé à la logique du projet de loi qui introduit de nombreuses ruptures, avec la conception républicaine de la Fonction publique. Car, d’un côté, l’État se retire peu à peu de la conduite et de l’animation d’un certain nombre de politiques publiques et de l’autre, les collectivités territoriales voient leurs marges de manœuvre restreintes alors qu’elles s’étaient, pour certaines, engagées dans des projets nécessitants des investissements lourds à long terme : c’est pour elles une fragilisation de leur pouvoir politique, fiscal et financier.
Quelles sont les dispositions les plus problématiques ?
Compliqué d’en sortir deux ou trois tant l’ensemble du dispositif pose problème (sauf le chapitre 5 sur l’égalité professionnelle bien sûr) mais, s’il faut faire des choix, des questions sont révélatrices des projets du gouvernement. Tout d’abord l’article 18 qui concerne l’harmonisation de la durée du travail dans la Fonction publique territoriale. Il prévoit, ni plus ni moins, de mettre fin aux régimes de temps de travail dans les collectivités territoriales et leurs établissements publics à partir de 2021 pour le bloc communal et 2022 pour les départements et régions. Cela signifie une remise en cause à terme des accords locaux négociés dans les collectivités territoriales et validés par le Préfet dans le cadre de sa mission de contrôle de la légalité des actes administratifs. Une véritable remise en cause de 15 ans de dialogue social balayés d’un simple revers de main ! L’article 27 qui est un dispositif d’accompagnement des restructurations de services et pour la territoriale cela veut dire la porte ouverte aux privatisations que le secteur marchand attend avec impatience. Car, avec les possibilités ouvertes par l’article 28 qui rend possible le détachement d’office des fonctionnaires touchés par une externalisation, il s’agit alors d’une véritable machine de guerre pour privatiser des services entiers et préparer des suppressions d’emplois. En effet, lorsque l’activité d’une personne morale de droit public employant des fonctionnaires sera reprise par une personne morale de droit privé ou par une personne morale de droit public gérant un service public industriel et commercial, les fonctionnaires exerçant cette activité seront détaché-es d’office sans droit d’option, pendant la durée du contrat liant la personne morale de droit public à l’organisme d’accueil, sur un contrat de travail de droit privé conclu à durée indéterminée auprès de l’organisme d’accueil. Si l’agent-e refuse, là aussi la rupture conventionnelle (RC) pourrait pourra s’appliquer. C’est fondamentalement contraire à la notion de statut puisque par définition le fonctionnaire, n’étant pas dans une relation contractuelle, n’a aucun contrat à rompre. Mais aussi l’article 10 : dans la fonction publique territoriale, les emplois permanents pourraient être occupés de manière permanente… par des agent-es contractuel-les Ce recours serait possible dans les communes de moins de 1 000 habitant-es et les groupements composés de communes dont la population moyenne est inférieure à ce seuil, pour tous les emplois et dans les autres collectivités, pour tous les emplois à temps non complet lorsque la quotité de temps de travail est inférieure à 50 %.
La mobilisation massive de toutes et tous est donc nécessaire si nous voulons encore faire reculer le gouvernement et obtenir le retrait de ce projet de loi.
Propos recueillis par Denis Thomas