Décentralisation saucissonnée

Coup de théâtre dans le landernau politique début avril : l’acte III de décentralisation, réclamé par l’Assemblée
des Régions de France, préparé par le ministère ad hoc
avec les élus, ne verra le jour que tronçonné et, pour partie, reporté. C’est face aux contestations de ses élus,
conseillers généraux et sénateurs, mais aussi maires
de petites villes, que le gouvernement a décidé
de le présenter en trois volets distincts.

Ne nous y trompons pas : s’il ne s’agit pas d’une décentralisation comme celle de l’acte II, on est bien dans un projet politique de transformation des territoires comme de la relation entre ceux-ci et l’Etat. Peu de transferts de personnels de l’Etat vers les Collectivités Territoriales (environ 500 contre 160 000 en 2004), mais c’est au niveau des CT entre elles que le problème se posera avec d’importantes modifications de répartition des compétences.
Mis à part le rétablissement de la clause de compétence générale pour les régions et départements, il ne s’agit pas non plus d’une rupture avec le gouvernement Sarkozy. En témoigne le premier texte qui sera soumis en mai au Sénat, le plus urgent pour le gouvernement qui veut aller vite sur les « métropoles européennes » : Paris-Lyon-Marseille. En sus, il redéfinit les métropoles déjà prévues dans la loi Sarkozy de 2010, crée des conférences territoriales où les collectivités pourront décider entre elles de nouveaux transferts de compétences, et instaure des « chefs de file » qui pilotent lesdites compétences.

Un deuxième texte sur les régions serait soumis avant l’automne. Quant à celui prévu sur le renforcement des intercommunalités et la démocratie locale, il n’arriverait que bien plus tard (après les municipales de 2014 ?).
La logique d’ensemble reste pourtant bien présente et s’inscrit dans une vision de concurrence entre territoires dans la « compétitivité économique » européenne.

Dans chaque région, des conférences territoriales de l’action publique devront établir un « pacte de gouvernance territoriale » qui concernera les schémas de délégations de compétences, la création de guichets uniques et la mise en place d’une coordination des interventions financières.

Passages en force
à tous les étages

La métropole (déjà prévue dans la loi du 16 décembre 2010) est un établissement public de coopération intercommunale regroupant plusieurs communes d’un seul tenant et sans enclave. L’ensemble urbain doit compter plus de 400 000 habitants et doit comprendre certains équipements (gare, aéroport, université…). Sont concernées Lille, Bordeaux, Toulouse, Nantes, Strasbourg, Rouen, Toulon, Montpellier, Rennes et Grenoble (+Nice). Avant même que la loi soit votée, les grandes manœuvres entre élus sont déjà lancées. Certains, comme à Nice ou Montpellier, s’étaient déjà emparés de la loi de 2010 pour créer une métropole ou un pôle métropolitain. D’autres, comme à Toulouse, sont dans les startingblocks (le site internet Toulouse métropole existe déjà !). Le tout dans une opacité entretenue envers les citoyens et même les fonctionnaires qui seront les premiers concernés par d’éventuels transferts de compétences entre CT.

Paris, Lyon et Marseille seraient des métropoles « européennes » à statuts particuliers.

La « métropole Paris-Île de France » regrouperait, dès 2016, la ville de Paris et les EPCI (établissement public de coopération intercommunale) de son aire urbaine.

La « métropole de Lyon » serait une collectivité à statut particulier, sur le périmètre de la communauté urbaine de Lyon qui absorberait l’ensemble des compétences du département sur son territoire.

Quant à la « métropole Marseille – Aix-en-Provence », source de très importants conflits avec les élus des Bouches-du-Rhône, le gouvernement passerait en force en l’imposant dans la loi. La communauté urbaine de Marseille serait fusionnée avec 5 autres communautés et syndicats d’agglomérations.
Présentant le projet de loi, Ayraut a précisé : « A terme, l’idée est de s’inspirer de l’exemple lyonnais, c’est-à-dire de mutualiser et de fusionner au maximum. L’objectif est que ces métropoles jouent un rôle fort d’entraînement du territoire. »

Beaucoup de questions restent en suspens, notamment celles des territoires laissés de côté dans les futurs regroupements, des collectivités dépouillées de certaines de leurs compétences, mais aussi celle des financements et des péréquations que le gouvernement renvoie à la future loi de finances. Pas de quoi rassurer des citoyens et électeurs tenus à l’écart de ces importantes modifications de leurs territoires. ●

Isabelle Sargeni-Chetaud
et Denis Thomas