« Sortir de l’évaluation sanction » pour passer à une « évaluation bienveillante au service
des apprentissages des élèves », voilà l’objectif annoncé par
les différent-es ministres
qui se sont succédé-es depuis plusieurs années.
Le débat est biaisé dès le départ, puisqu’il part du postulat
que les enseignant-es évaluent trop et surtout mal, pratiquent une évaluation sanction pénalisante pour leurs élèves.
C’est pourtant sur cette base
que les réformes de l’évaluation
des élèves ont été conçues.
Chaque outil institutionnel mis en place à l’école est d’abord perçu par la fonction qui lui est assignée et les contraintes ou les possibilités qu’il porte en germe. Le LSUN (Livret Scolaire Unique Numérique) n’échappe pas à cette approche pragmatique et n’ira pas sans poser de sérieux problèmes dans son utilisation à l’école : la numérisation est une nouveauté au primaire et les inquiétudes liées à ce mode de conservation et de transmission des données sont nombreuses, l’implication des directeurs et directrices dans la mise en place de l’outil va accroître encore leur charge de travail, le nombre d’items à renseigner n’a rien à envier à feu le LPC, l’accumulation de parcours et d’attestations en tout genre ne rompt pas avec l’effet d’empilement précédemment dénoncé, la lisibilité par les familles est loin d’être acquise…
Une fois ces considérations énoncées et dénoncées, la question de la place de ce livret dans l’ingénierie de l’évaluation si chère aux ministres successifs et le rôle qu’on entend lui faire jouer doit nous interroger.
Le LSUN : pourquoi ?
pour qui ?
Le rejet massif des évaluations par compétences de la part des enseignant-es comme des familles a contraint le ministère à reculer sur le LPC. Ce n’est pas pour autant qu’il a renoncé à la logique précédente et rompu avec les prescriptions de l’Union européenne et de l’OCDE. La présence d’attestations qui enjoignent à l’école d’évaluer des compétences acquises à l’école mais aussi en dehors de l’école est là pour le confirmer. C’est sans ambiguïté que la fonction de l’attestation de compétences numériques sera de renseigner les futurs employeurs sur le niveau de chaque postulant. Et si ces compétences ont été acquises ailleurs qu’à l’école, c’est quand même à l’école de les attester. Cette logique assumée et qui ne manquera pas de se renforcer en investissant d’autres champs scolaires inscrit l’école dans la perspective première de l’employabilité et alimentera de fait la concurrence entre individus et entre établissements. Et ce n’est qu’un exemple.
Maternelle :
une évaluation au service
de l’apprentissage ?
Le LSUN concernant uniquement la scolarité obligatoire, la maternelle devra se doter d’outils propres. Les avancées sont ici significatives : il ne s’agit plus d’évaluer des compétences mais d’aider l’élève à progresser et de rendre compte de ses réussites. Cette évaluation dite positive doit d’abord se faire en situation et reconnaît l’observation par l’enseignant-e comme modalité première. Un carnet de suivi des apprentissages construit et renseigné par l’enseignant-e et l’élève rend compte des progrès de ce dernier. Si on ne peut qu’approuver cette démarche qui permettra peut-être d’inverser le processus de « primarisation » de la maternelle, on constate que l’institution n’est pas prête de laisser le champ libre aux enseignant-es : dans de nombreuses circonscriptions, les équipes sont déjà au travail pour tenter d’« harmoniser » les pratiques et de renouer avec la standardisation des outils. Dans le même temps, le site Eduscol propose des « exemples » de carnets de suivi qui, s’ils n’ont rien d’injonctif, sont le reflet de ce qui peut et doit être considéré comme « les bonnes pratiques ».
Quels effets
sur les pratiques ?
Nous portons l’idée que l’acte d’évaluer est un acte complexe et exigeant qui demande une professionnalité affirmée. C’est au cœur de la situation d’apprentissage que se joue l’engagement dans la pensée et dans les savoirs. Faire de l’évaluation un rendez-vous ponctuel dont les résultats seront figés dans un document dont on ne connaît pas la destination finale ne constitue pas une avancée dans la démocratisation de l’école et la réussite de tous. La standardisation de l’outil est une nouveauté qui laisse augurer une uniformisation des pratiques contraire à l’affirmation de la liberté pédagogique. Il est fort à craindre que, compte tenu de la charge de travail des enseignant-es et de l’incurie de la formation initiale et continue, de nombreux outils issus des pratiques alternatives et progressistes sont amenés à disparaître. Ce qui est préconisé à la maternelle deviendrait-il tout simplement impossible pour la suite de la scolarité ? Quand les choses deviennent sérieuses… ●
Claude Gautheron