La prochaine convention pour le climat, la 21ème du processus des COP (Convention des Parties signataires de la Convention climat) se déroulera en décembre 2015, en France, sur le site du Bourget.
Pendant 12 jours, les différents Etats négocieront un nouveau traité, dont l’objectif est de répondre aux enjeux, cruciaux, de l’emballement du dérèglement climatique. Pour les acteurs de « la société civile », l’enjeu est de se saisir de l’occasion pour construire un véritable mouvement pour la « Justice Climatique ».
Retour sur ces acteurs, leur diversité, et quelques enjeux auxquels ils seront confrontés.
La dernière décennie a vu se multiplier les mobilisations sur les questions climatiques (chaînes humaines, camps climats, etc.) sans pour autant atteindre un mouvement de masse.
Mais la prise de conscience de l’importance de ces enjeux s’est développée.
La Haye, dans les années 90, puis Copenhague fin 2009 où s’est déroulée la plus forte mobilisation de rue, avec 100 000 manifestant-es, en sont des illustrations. Pour autant, le mouvement n’a pas su s’inscrire dans la durée et s’ancrer localement.
Ces mobilisations des années 2000 se sont structurées autour de deux réseaux principaux.
Le premier, autour d’une grande coalition internationale d’organisation environnementalistes, le CAN (Climate Action Network) regroupant près de 350 ONG (Greenpeace ou Oxfam par exemple) dont l’antenne en France est le Réseau Action Climat (RAC).
Le second, autour d’une coalition plus radicale (Climate Justice Network – CJN), auquel participe Attac ou les Amis de la Terre, qui avait créé le Klimaforum à Copenhague, développant des actions directes non violentes.
Les différences entre ces mouvements se sont matérialisées autour de trois axes :
- Le premier est stratégique. Le CAN a misé sur le travail de lobbying avec l’objectif de convaincre les gouvernements. Le CJN, bien que pour partie accrédité par les Nations Unies et donc présent dans l’enceinte de la conférence, a développé prioritairement une stratégie de mobilisation de rue, à l’extérieur de la COP.
- Le second est programmatique. Les solutions défendues par ces deux coalitions se différencient sur le lien qu’elles font entre questions climatiques et capitalisme.
Pour les organisations du CAN, la priorité étant la question climatique, il s’agissait de défendre des solutions immédiates tels les mécanismes de marché carbone.
Pour CJN, les réponses à apporter au dérèglement climatique nécessitaient un bouleversement systémique (d’où le slogan « System change, Not climate change »). - De celles-ci découle un troisième axe géostratégique. Chaque coalition avait ses alliés. Le CAN misait sur l’Union européenne et ses alliés, pensant qu’ils seraient susceptibles de porter des « solutions vertes », en opposition aux USA et à la Chine représentant les forces conservatrices.
- _ Pour CJN, les pays traversés par les processus de la révolution bolivarienne, notamment la Bolivie et l’Équateur, semblaient représenter un mouvement porteur de solutions de rupture avec le néolibéralisme et le développement productiviste.
Progressivement, depuis 2009 et la « gueule de bois » post Copenhague une dynamique de convergence entre ces deux grands réseaux s’est engagée. La raison de cette convergence est double :
- Les « Etats-alliés » ont déçu, et ce, des deux côtés. Les positions de la Bolivie ou de l’Équateur ont changé, notamment sur l’extractivisme, et l’UE, au vu de ses positions actuelles, ne peut même plus donner l’illusion d’avoir quelques propositions progressistes sur la question climatique.
- La conséquence en est que tous les mouvements sont désormais convaincus que sans mobilisation sociale, rien ne sera possible. Cette convergence de vue n’épuise pas les nuances dans les méthodes d’action et la stratégie de lobbying.
Mais tous s’accordent sur la nécessité d’un rapport de force citoyen à construire.
Actuellement, cette dynamique convergente aboutit à la volonté de construire une histoire commune pour 2015 et au-delà. Celle-ci se décline autour de trois idées qui, si elles laissent une grande marge d’appréciation, n’en demeurent pas moins des points d’appuis pour construire une dynamique commune d’action :
- Les solutions ne viennent pas que « d’en haut ». Des alternatives existent, pour certaines elles sont déjà en marche et portées par des mouvements locaux. La dynamique en France « Alternatiba » cherche à en être le catalyseur.
Il ne s’agit donc pas d’attendre que les États veuillent bien prendre leur responsabilité pour agir. - Le changement climatique ne tombe pas du ciel, il y a des responsables : les multinationales et les gouvernements. Cela a un double effet : le discours fataliste n’est pas de mise puisque les causes sont identifiées, et le mouvement a bien ses « cibles » communes.
- Enfin, il y a accord pour affirmer d’ores et déjà que la mobilisation ne s’arrêtera pas à la COP21. C’est un des acquis, malheureux, des échecs répétés des différentes COP et de la désillusion des mouvements les plus insérés dans ce processus onusien. Pour autant, personne n’est pour déserter ce cadre multilatéral de négociation.
L’alternative ne réside pas uniquement dans des avancées qui seraient imposées au sein de quelques pays ou dans des accords bilatéraux, à l’image de celui noué entre la Chine et les USA en novembre dernier. Les pays les plus pauvres seraient les premiers à en faire les frais. En effet, même si le « Fonds vert pour le Climat » de l’ONU est loin d’être à la hauteur, un mécanisme de transfert financier des pays les plus riches (et dont la responsabilité historique est la plus importante) vers les pays les plus pauvres est indispensable : il s’agit de soutenir ces derniers à relever les défis de l’adaptation au dérèglement climatique.
L’ensemble de ces points d’appui, essentiel pour pouvoir asseoir des fondations suffisamment stables à un mouvement commun, ne gomment en rien des différences essentielles.
« La nature est un champ de bataille » pour paraphraser le titre de l’ouvrage de Razmig Keucheyan. L’espace des mouvements pour la justice climatique est traversé de débats, controverses et autres enjeux qu’il est impératif d’affronter.
Tout d’abord, il est aujourd’hui de bon ton d’affirmer l’opposition de tous aux « fausses solutions ». L’accord est certes unanime pour refuser la géo-ingénierie par exemple, rêve de quelques multinationales.
Mais les problèmes apparaissent lorsque la question de la sortie des énergies carbonées est abordée. Le nucléaire ou les techniques de captation du CO2 sont loin d’être écartés par tous.
De même, les solutions libérales du « marché carbone » sont une option clairement retenue par un certain nombre de mouvements. Si le slogan « System Change Not Climate Change » se décline sur les autocollants d’un nombre toujours plus important de mouvements, il ne traduit pas pour tous une adhésion à la perspective de sortie du capitalisme productiviste…
Enfin, plus qu’un débat qui traverserait les mouvements, l’enjeu de l’ancrage social et territorial demeure en chantier. C’est d’ailleurs un des enjeux, par exemple en France, d’articuler mobilisations locales contre les grands projets inutiles et mobilisations pour le climat.
C’est aussi la place des syndicats et des mouvements populaires qui sera cruciale dans les mois et années à venir, afin de tendre vers un vrai mouvement pour la justice climatique. La place des syndicats est encore faible, la dimension sociale des batailles sur le climat se limitant bien souvent à faire reconnaître la nécessité d’une transition juste dans les textes de la COP…
Inversement, il y a un manque d’ambition des propositions syndicales au sein des COP : les syndicats des travailleurs des services sont plus offensifs que ceux des secteurs industriels. Les syndicats de pays fortement exportateurs freinent largement toutes les revendications qui sembleraient porter atteintes aux secteurs phares de leurs économies nationales.
Pour autant, des mobilisations éco-sociales existent. Elles ont été essentielles à la réussite de la manifestation du 21 septembre 2014 à New York, rassemblant plus de 400 000 personnes (la plus importante manifestation depuis les années 70).
Certes, le travail a été principalement porté par un seul syndicat, celui des services de l’État, et l’ouragan Sandy en 2012 avait laissé des traces, principalement dans les quartiers populaires à même d’incarner l’immédiateté des enjeux climatiques…
Au Royaume-Uni, des syndicats se sont unis aux associations environnementalistes pour construire une campagne articulant réponse à la question sociale à travers l’emploi et perspective de transition : ils l’ont intitulée « One Million Climate Jobs ».
Pour le mouvement syndical français ces expériences sont une invitation à développer un projet et des revendications à même de construire un véritable mouvement social pour la justice climatique, articulant enjeux environnementaux et perspectives de transformation sociale. ●
Julien Rivoire