Loin de défendre l’idée que gauche et droite seraient de nature similaire, il faut tout de même convenir que l’école libérale est toujours à l’honneur sous ce gouvernement socialiste. Les méthodes antérieures qui visaient
à fragmenter les dispositifs et les attaques pour les rendre moins visibles et moins faciles à combattre sont elles aussi toujours à l’oeuvre. Il faut donc s’atteler à démontrer la cohérence des réformes engagées
qui visent à consolider une école capitaliste tournant le dos à la démocratisation.
Le contexte économique de crise sert l’idéologie libérale : il permet de légitimer les suppressions, rationalisations de moyens pour les services publics, même quand il s’agit de la « priorité » de Peillon. Mais il y a pire : les « valeurs » d’utilitarisme s’insinuent partout, à l’école aussi, qui se doit d’être « rentable ». Peillon ne déroge pas à la règle et son école, même refondée, déroule le dogme de l’individualisation et des compétences. Elle célèbre les valeurs de l’entreprise. L’élève est soumis dès son plus jeune âge et tout au long de sa scolarité à une évaluationnite continuelle. Accompagné de divers port-folio (sur son orientation, sa formation individuelle des métiers, ses pratiques artistiques et culturelles), il trace ainsi des « parcours » qui l’éloignent toujours davantage de l’idée que c’est ensemble, avec les autres, le groupe, la classe que l’on apprend ! L’enseignant, quant à lui, voit son rôle détourné et son métier dénaturé. Pour tous, l’individualisation risque fort de donner lieu à une inégalité croissante, d’un parcours, d’un territoire, d’un élève à l’autre…
Où s’arrête le droit
à l’éducation ?
La FSU défend l’idée de porter l’obligation scolaire à 18 ans, Peillon la rejette, et ce n’est pas sans conséquences. Il entérine par là l’idée d’une école « coupée en deux », avec une scolarité obligatoire de base (l’école du socle, jusqu’à la fin du collège) pour les uns, et une poursuite d’études (bac-3, bac +3) pour certains autres. Cette école du socle « unique » ne l’est même pas totalement, du fait de tous les dispositifs individualisants qui la traversent. Et le fait d’en formaliser la fin avec la validation du LPC, institue de surcroît une frontière infranchissable, un véritable couperet, qui délimite les populations scolaires façon « guerre de classes ». On est loin du « tous capables », loin d’un projet ambitieux qui tendrait à hisser le plus grand nombre vers les connaissances et la qualification. On est dans le renoncement.
Une éducation encore nationale ?
A tous les étages, c’est l’abandon de la norme nationale et l’éclatement de l’école. Dans le premier degré, les inégalités existaient déjà sur les moyens alloués aux écoles avec des incidences sur le matériel, les déplacements, les sorties. Dans le second degré, même chose avec les Conseils généraux et régionaux. Mais la façon dont la réforme des rythmes et les projets éducatifs territoriaux se mettent en place va accentuer les disparités. Il aurait fallu assurer la gratuité de l’accueil des élèves sur le temps péri-scolaire et donner les moyens (en imposant le principe de péréquation) de proposer des activités de qualité sur tout le territoire.
Le contour national des diplômes est lui aussi mis à mal, avec des épreuves de langue conçues et corrigées de façon différente dans chaque établissement pour le bac général, des Contrôles en Cours de Formation généralisés en LP, et des diplômes « maison » qui perdent de leur valeur. L’égalité de traitement des élèves vole en éclat.
La norme n’est plus le national mais l’échelon local : les pressions s’exercent notamment grâce aux contrats d’objectif chiffrés (comment chiffrer des objectifs pédagogiques ?), qui conditionnent l’obtention des moyens. En fin de période, plus les résultats seront proches de l’objectif, plus les finances seront importantes. De ces financements LOLF dépendent notamment les activités péri-scolaires, donc là encore, des inégalités pour les élèves selon leur établissement. C’est bien ici la logique de concurrence entre établissements qui est mise en avant.
Non seulement, il n’y a pas de rupture avec la politique du précédent gouvernement, mais il y a reprise du pilotage par la performance : la gouvernance des années Fillon sévit toujours, la compétitivité chère à Hollande vient la compléter.
Cette nouvelle loi d’orientation s’inscrit dans la continuité de l’idéologie libérale. Ce n’est pas un projet d’école qui nous convient et la FSU ne devrait pas avoir peur de l’affirmer et de l’afficher. ●
Mylène Denizot, Véronique Ponvert