Il s’est passé quelque chose…
Ce week-end, nous étions dans la rue avec des millions de citoyennes et citoyens en réaction aux actes terroristes marqués notamment par la tuerie antisémite de Vincennes et l’assassinat politique collectif qui a touché la rédaction de Charlie Hebdo dans ses locaux.
Ce dernier meurtre, ciblant des journalistes et des dessinateurs, est un acte d’une sauvagerie sans nom contre un organe de presse. C’est à la liberté de la presse, c’est à la liberté d’expression et donc de penser, que les auteurs ont voulu s’en prendre. Ce sont les libertés démocratiques qui sont attaquées.
Tous ces assassinats sont liés à un insupportable obscurantisme sectaire, que porte potentiellement toute religion. Au-delà de leur dimension proprement irrationnelle, ces actes sont également le corollaire de la situation de chaos à l’échelle internationale liée à l’interventionnisme des puissances occidentales, dont la France.
Ces attentats interviennent alors que la France est aujourd’hui en proie à ses pires fantômes : ceux de l’intolérance, de la xénophobie, du racisme, de l’islamophobie et de l’antisémitisme sur fond de crise sociale qui entraîne notamment une relégation territoriale et scolaire d’une partie de la population. Pour preuve la montée du FN, crédité de près de 30% d’intentions de vote, ou encore le succès sur les ondes et en librairie du sinistre Zemmour qui prône la « remigration ».
La force manifeste des rassemblements de ce week-end a été d’éviter l’écueil de l’amalgame que ce contexte pouvait laisser craindre. Pourtant rien n’est réglé d’autant que des actes islamophobes ont émaillé les marges de l’actualité et que les manifestations n’ont pas été massivement investies par toutes les composantes de la diversité de la population comme elles avaient pu l’être pour « touche pas à mon pote » ou même pour la coupe du monde de 98. Cette mobilisation nationale a aussi évité que cet hommage ne devienne une mascarade. Dimanche nous étions toutes et tous Charlie. Un Charlie polymorphe à l’image de notre société…
C’est certainement ce qui a permis que cette mobilisation, qui aurait eu lieu même sans l’injonction gouvernementale, ne soit l’objet d’une récupération politique au nom d’une « union nationale » élargie aux dirigeants de l’UE prônant l’austérité ou encore aux sinistres dirigeants de la Turquie, d’Israël, de la Russie, de l’Ukraine, de la Hongrie, du Gabon… D’où nos réticences sur la décision hâtive de la FSU de signer un appel commun notamment avec l’UMP, Sarkozy et autres Hortefeux, dont le moins que l’on puisse dire, c’est qu’ils ne sont pas vierges en matière de stigmatisation des musulmans. Cette volonté de Hollande d’élargir la manifestation à ces dirigeants ne dit-elle pas quelque chose d’une tentation sécuritaire ? Face à la force du nombre, cette dérive inefficace, injuste et dangereuse de nouvelles lois liberticides semble temporairement écartée. Notre vigilance collective sera indispensable.
Dans ce contexte se profile un enjeu éducatif fondamental : nous sommes interpellés dans nos pratiques professionnelles par des jeunes disant que « Charlie l’avait bien cherché parce qu’il avait profané le prophète » (et les réseaux sociaux diffusent largement ce type de propos). Si nous n’apportons pas des réponses, sous forme d’outils, de campagne, …., la place sera alors prise par les réactionnaires qui parleront d’exclusion, de renvoi, de répression. Le FN aux portes de l’enseignement, c’est aussi aujourd’hui…
Il s’est donc bien passé quelque chose et il est absolument nécessaire de transformer cette première mobilisation spontanée guidée par l’émotion en une riposte collective la plus large possible pour un changement social majeur. Notre responsabilité démocratique et syndicale est que la période qui se profile ne s’ouvre pas sur une « guerre de civilisation » mais sur une société plus juste et plus égalitaire débarrassée de toute forme d’oppression.
Rebondir après le petit séisme des élections professionnelles
Ce conseil national a aussi lieu un mois après le petit séisme qu’ont constitué pour le SNUipp et la FSU les résultats des élections professionnelles. En effet, malgré une hausse de la participation, notre syndicat et notre fédération enregistrent un recul important et inédit en pourcentage, ce qui ne permet pas à la FSU de redevenir la première fédération à la fonction publique de l’Etat et va faire diminuer les moyens de fonctionnement (décharges syndicales) dès la rentrée 2015.
Ce n’est pourtant pas faute, pour les équipes militantes, d’avoir donné du temps et de l’énergie pendant la campagne. La hausse de 3 points de la participation en est un signe. Mais elle s’accompagne d’une baisse de 4 points du SNUipp-FSU alors que d’autres organisation progressent (FO) ou se maintiennent (SE). Certes, les modalités de vote n’ont pas facilité la participation. Certes, ce recul est relatif puisque le SNUipp reste largement la première organisation syndicale dans le 1er degré avec 44,28% des voix.
Mais ces résultats n’en constituent pas moins un séisme qui marque une rupture avec la dynamique de progression enclenchée il y a maintenant 20 ans. Le SNUipp-FSU doit tirer le bilan de ces élections. C’est le rôle que s’assigne le Conseil National.
Il va avoir pour tâche d’analyser ces résultats et d’en dégager des priorités en termes de politique et de stratégie syndicales pour les années à venir. Quelle emprise du syndicat sur le terrain aujourd’hui ? Quelle analyse du dialogue social ? Quel espace pour le paritarisme ? Quels acquis ces dernières années ? Quelle formation des militant-es syndicaux ? Comment ne pas s’enfermer dans un pseudo dialogue social et un commentaire de ce dernier ? Comment rendre lisible son projet et ses mandats ? Quelles pratiques syndicales ?
Un contexte de repli
Cet affaiblissement important dans l’éducation confirme une tendance de fond puisque le scrutin est marqué par le recul des organisations syndicales de transformation sociale (CGT-Solidaires-FSU) dans divers secteurs et par le renforcement de la CFDT et de l’UNSA dans la Fonction publique.
Là aussi notre syndicat et la fédération auront pour tâche de mener à bien l’analyse du scrutin et d’en tirer les conséquences en termes de projet syndical à venir.
Ces premiers constats sur les résultats du scrutin sont donc à mettre en perspective avec un contexte général. Celui d’un affaiblissement objectif du syndicalisme, avec la principale confédération en proie à une crise politique qui risque d’affecter l’ensemble du mouvement social. Celui d’une montée des démagogies décomplexées. Celui d’un gouvernement à l’écoute exclusive du patronat qui multiplie les attaques contre le salariat et les classes populaires qui semblent atones. Dernière preuve avec la loi Macron qui met à mal la représentation prud’homale, ou encore « facilite » le travail dominical.
Celui aussi de politiques d’austérités décidées dans des cercles financiers restreints et menées à l’échelle continentale contre l’intérêt des peuples. Pourtant, les peuples ne sont pas partout atones. Le mouvement syndical belge vient de réussir une journée de grève générale contre ces politiques juste après la réussite de la grève massive en Italie contre la déréglementation du droit du travail. Et là où l’austérité frappe de plein fouet les salariés et leurs familles, se dressent des alternatives politiques crédibles et possibles comme dans le sud de l’Europe, en particulier en Espagne et en Grèce aujourd’hui. Un peuple grec soumis aux pressions indignes des institutions européennes et de la finance qui tentent par tous les moyens de lui dicter ce qu’il doit voter. Et on comprend pourquoi : pour la première fois, en Europe depuis le début de la crise, un peuple est en situation de pouvoir rejeter démocratiquement l’austérité !
Pas de résignation, continuer l’action
Dans l’éducation prioritaire, les mobilisations de décembre dernier montrent aussi que la profession est capable de se mobiliser sur des enjeux syndicaux forts. Véritable volonté exprimée par la profession de défendre une école démocratique et de se battre pour ses conditions de travail, ces mobilisations ont concrètement défendu une école telle que la porte le SNUipp-FSU. Preuve, s’il en était besoin, que le projet du SNUipp-FSU rencontre l’adhésion massive des collègues quand il prend corps dans des luttes aux enjeux clairs, palpables et aux contours unitaires.
Dans le contexte actuel où l’éducation est l’un des enjeux majeurs de la lutte contre tous les obscurantismes, le SNUipp-FSU a la responsabilité de porter haut et fort son projet de transformation de l’école et de la société en affichant une ligne syndicale claire et en défendant ses mandats.
La réforme des rythmes scolaires, massivement rejetée par nos collègues, doit être l’occasion pour le SNUipp-FSU de saisir la demande de réécriture pour porter ses mandats d’amélioration des conditions de travail et d’enseignement élaborés à St Malo – baisse des effectifs et baisse du temps de travail (1ère étape vers le 21+3, vers les 18h) – tout en développant également des revendications concrètes et immédiates : alignement de l’ISAE sur l’ISOE, fin de l’APC, 108h à disposition des équipes, mercredis après-midi préservés…
La prochaine échéance qui nous attend est celle de la mobilisation du 3 février prochain pour l’éducation dans un cadre fédéral. La volonté, à priori, d’éviter tout cadre unitaire de mobilisation est une erreur. Pour autant, il s’agit de réussir cette journée de grève. Non pas tant pour nous prouver que nous sommes en capacité de mobiliser la profession après ce scrutin. Mais plutôt parce que cette grève est nécessaire. Parce que les reformes gouvernementales ne sont pas à la hauteur de nos attentes syndicales en termes de conditions de travail, de rémunérations, de moyens d’enseignement et de formation. Parce que le SNUipp-FSU est bien toujours un syndicat unitaire de luttes et de propositions au service de l’école et de ses personnels.