L’annonce brutale de la fermeture des écoles a imposé une relation individualisée entre l’élève (et sa famille) et l’institution scolaire. Attention particulière aux situations des élèves, contact privilégié avec certain-es, relation de confiance avec les parents, ce sont là les atouts de cette période inédite. Malgré tout, ils ne peuvent gommer l’importance des aspects négatifs.
Le confinement a imposé une individualisation poussée à son paroxysme : les élèves se sont retrouvé-es seul-es face au travail scolaire, sans l’appui d’un collectif apprenant, facteur de motivation et d’entraînement, qui donne un sens à l’entrée dans les apprentissages. Les classes virtuelles ont ponctué leur emploi du temps sans lever l’illusion d’un cadre collectif, tronqué, sans interactions. La participation souvent passive des élèves aux espaces numériques a révélé combien il est nécessaire que les enseignant-es confrontent les élèves aux exigences du savoir, les obligeant à se « frotter » à sa construction. C’est évidemment essentiel quand il s’agit des enfants des classes populaires ; mais c’est le cas aussi pour d’autres, notamment ceux qui sont acquis aux pratiques numériques : des élèves qui peuvent « piocher » dans certaines disciplines, s’en affranchir, décrocher… Dans tous les cas, les exigences d’un cadre commun de référence (programmes, horaires nationaux d’enseignement) explosent en plein vol, réduisant à néant tout espoir d’égalité. Les inégalités se creusent, y compris au sein d’une même classe sociale, elles deviennent abyssales quand il s’agit des élèves les plus fragiles, et qui n’ont que l’école pour apprendre.
De vieilles recettes
L’individualisation a irrigué les politiques éducatives libérales, à différents niveaux (orientation, parcours), mais particulièrement pour répondre à la difficulté scolaire : tout en supprimant les Rased, les maîtres supplémentaires, les dédoublements de classe pour permettre des pratiques pédagogiques adaptées et diversifiées, les discours politiques ont prôné la réponse individuelle pour lutter contre l’échec scolaire, une réponse qui fait porter la responsabilité de cet échec sur la famille et non plus sur l’institution. Celle-ci se contente de diagnostiquer (des pathologies, des dys-), d’établir un contrat (PAP, PAI, PPRE, PPS) pour se donner bonne conscience. Cette approche individualisée se dédouane dès lors d’une quelconque réussite scolaire, et s’affranchit dans le même temps de toute obligation de démocratisation. Tout était déjà en place, et l’individualisation s’est imposée au centre de la « continuité pédagogique » comme remède à la classe empêchée…
Sortie de route
Loin de l’espace collectif de la classe, les enseignant-es ont eu la confirmation qu’il était nécessaire d’oraliser les consignes pour les rendre explicites : les supports écrits envoyés aux élèves pour les inciter à travailler ne sont pas accessibles à tou-tes sans reformulation… Le groupe permet de lever des implicites, des malentendus, et de mettre en activité. Mais avec le confinement, la classe s’est donc effacée, l’imposture de la « continuité pédagogique » a laissé penser que l’école avait lieu « à la maison ». Avec le déconfinement, un glissement redoutable s’est opéré : l’école est devenue facultative, optionnelle, un supplément d’âme. L’école s’en trouve fragilisée, voire décrédibilisée (il serait donc possible de faire autrement pour apprendre ?), la promesse d’égalité vole en éclats (à chacun-e son école) et la responsabilité de la scolarité, échec ou réussite, repose sur la famille.
L’école est aussi un espace essentiel de socialisation pour la jeunesse : quelle sera l’incidence de sa désertion sur certain-es élèves qui ont appris à s’organiser à côté de l’école, et à très bien vivre « sans » ? Quand le 11 mai, Macron annonce que l’école n’est pas obligatoire, il s’exonère du devoir d’égalité d’accès au service public d’éducation. L’école est un droit dont il prive une partie importante des familles. Il ne fait pas preuve de largesse en laissant un tel choix, il piège les populations les plus fragiles et les rend captives d’une situation d’exclusion : à cela s’ajouteront, au retour à la normale, les enquêtes sur les élèves décrocheurs, absentéistes, et autres injonctions de signalements. Apparemment, pas d’obligations pour les élèves (ils ne seront pas évalués pendant le confinement, pas obligés de revenir en classe le 11 mai), néanmoins il-elles seront « tracé-es » (et leur famille aussi) et seront sanctionné-es à l’heure des comptes. C’est l’école du mérite : Vae victis…, Malheur aux vaincu-es ! ●
Véronique Ponvert