L’Odyssée
d’Antoine Anacharsis
Taan n’est pas encore né, mais du ventre de sa mère, il nous parle déjà. De sa mère, il connaît l’étrange histoire de sa famille née de la rencontre d’une jeune femme vivant sur l’île de Nosy Boraha au large de Madagascar et d’un pirate français, Olivier Levasseur dit « La Buse », connu pour avoir jeté à la foule au moment de son exécution sur l’île Bourbon (aujourd’hui : La Réunion) un cryptogramme mystérieux avec pour seule explication : « Mes trésors à qui saura comprendre ! ». Jamais déchiffré, le message est en possession de la mère de Taan dans un médaillon dont elle ne se sépare jamais.
C’est dans ce décor fort exotique que commence l’histoire que nous conte Alex Cousseau. Véritable épopée, elle se déroule en trois temps comme le laisse deviner le titre. Le premier est celui d’avant la naissance et de la communication intra-utérine avec sa mère, le deuxième est celui de son enfance où, recueilli par un docteur humaniste, il assiste sous le nom d’Antoine à l’abolition de l’esclavage à Antigua, une colonie britannique, avant de se retrouver asservi dans une plantation au sud des Etats-Unis. Le dernier épisode le voit choisir le nom d’Anacharsis comme jadis le fit le baron Cloots qui partage d’ailleurs son nom avec le capitaine du vaisseau sur lequel notre héros s’est engagé… Comme cet aristocrate allemand qui s’était inventé un prénom pour marquer son adhésion à la révolution française, Antoine Anacharsis est cosmopolite et veut rester maître de son destin en dépit des vicissitudes d’une existence qui, on le voit, ne l’a guère épargné.
Laissant une place importante à un onirisme assez poétique, qui contribue d’ailleurs à sa dimension épique, ce récit prend néanmoins appui sur de nombreux faits et personnages historiques quoique pittoresques à commencer par La Buse. L’énigme (authentique par ailleurs) que ce dernier a laissé à sa descendance sert de fil conducteur à la quête folle que mène Antoine Anacharsis avant qu’il ne comprenne que l’essentiel, bien sûr, est ailleurs. Les étapes de la vie du héros qui est amené à connaître successivement l’inhumaine traite des noirs, la dureté du travail dans les plantations en tant qu’esclave, la violence des bas-fonds de New-York et la vie sur un baleinier sont autant de pages d’histoire sociale passionnantes. Roman initiatique, un peu long certes mais fait de séquences brèves et incisives, ce livre riche peut ravir les jeunes dès la classe de quatrième. ●
Stéphane Moulain
Alex Cousseau, Trois vies d’Antoine Anacharsis,
Rouergue, 2012, 15,7 euros.
La grenouille qui voulait être reine
Que se passe-t-il si une grenouille trouve une couronne dans son étang ?
C’est à cette question que répond ce drôle d’album aux couleurs douces et au décor délicieusement rétro. C’est en effet dans une ambiance très belle époque que tout commence le plus tranquillement du monde. Les grenouilles passent leur temps attablées au bord de l’océan, à boire des coups, happer des mouches, écouter de la musique, bavarder nonchalamment, bref « faire des choses de grenouilles ».
Et puis vient la découverte de la couronne par l’une d’entre elle. L’évidence s’impose vite : celle-là doit être reine puisque la voilà maintenant affublée d’un si royal insigne ! Il ne reste plus qu’à savoir ce que doit faire une reine. La question est quand même difficile pour une grenouille qui découvre ce genre de pouvoir…
Heureusement de bons esprits vont se dévouer pour conseiller la nouvelle souveraine. En fait c’est assez simple : elle ne doit plus rien faire et se laisser servir par les autres. C’est ainsi que les grenouilles se retrouvent à travailler pour nourrir la reine et puis aussi ses conseillers royaux dont les bons conseils valent bien ce petit privilège. Tandis que l’appétit des uns augmentent, les loisirs des autres disparaissent. Fini le bon vieux temps où on se prélassait à attendre que le temps passe…
Les grenouilles ne sont pas comme les humains. Elles ne se laisseront pas exploiter trop longtemps et l’égalité originelle sera vite de nouveau en vigueur. Une belle fable sur l’injustice de l’inégalité à lire ou faire lire dès le cycle 2. ●
Stéphane Moulain
David Cali et Marco Somà, La reine des grenouilles (Rue-du-Monde), 17,5 euros.