Dénaturation des missions, perte de sens du métier, mise au pas des personnels, injonctions contradictoires… La souffrance au travail touche également le monde de l’éducation
et le syndicalisme en prend la mesure. Face à cette offensive qui se poursuit et s’aggrave
le combat pour « reprendre la main » sur le métier est d’autant plus urgent…
Au-delà des difficultés rencontrées au quotidien, les personnels souffrent de leur image dégradée, du manque de reconnaissance, voire de la défiance de la population.
Parmi les chantiers prévus par Peillon pour l’automne, il en est un qui inquiète particulièrement, c’est celui sur le métier enseignant : révision du temps de travail et annualisation, refonte du statut, imposition de la bivalence dans le second degré sont autant de pistes évoquées par le ministre, autant de « bombes » pour la profession. Pour le premier degré, il sera question des conséquences des rythmes avec des questionnements sur la signification du temps de service « avec élèves », des 108 heures, de la direction d’école (avec une négociation spécifique), de la place des personnels qui ne sont pas en permanence « devant élèves »…
Les libéraux en ont rêvé…
Les socialistes y parviendront-ils ? En tout cas, les annonces répétées sur les trop longues vacances des profs, leur absentéisme chronique, leur immobilisme maladif ont bien préparé l’opinion. Le récent rapport de la Cour des comptes apporte la touche finale et vient tracer la voie à Peillon pour essayer d’en finir avec un statut protecteur, garant d’emploi mais aussi et surtout d’indépendance intellectuelle et professionnelle…
Tout est donc en place pour que les personnels de l’Education nationale tombent sous le joug de leur hiérarchie. Une profession plus syndiquée que la moyenne, des personnels prêts à défendre aussi bien leurs intérêts que ceux de leurs élèves, c’est-à-dire, prêts à se battre, manifester, perdre des journées de salaire en faisant grève pour des valeurs et des idéaux, il convient de contenir tout cela ! Pour faire passer les « réformes » libérales (rentabilité et flexibilité des personnels, individualisation et utilitarisme des parcours scolaires,…), le gouvernement a besoin de faire taire l’opposition. En ôtant aux personnels leur statut, il leur ôte la parole. ●
Véronique Ponvert
La dictature de l’évaluation
La mission de service public astreint les personnels à la réalisation d’objectifs (à commencer par l’entrée dans les apprentissages scolaires) pour l’ensemble des élèves. Mais sous prétexte de garantir au pays une égalité qui n’est pourtant que de façade, l’Etat multiplie les « contrôles » à travers des évaluations incessantes, exerçant une pression continuelle qui a deux principales fonctions : insuffler l’esprit de compétitivité chère au système capitaliste et mettre au pas, en détruisant peu à peu toute velléité de réflexion…
La compétitivité, incompatible avec la mission d’éducation, se déploie au détriment de la coopération. Pourtant, la concurrence qui se joue au sein du système (entre les pays, les établissements scolaires, les élèves ou les personnels) impose sa règle. Les palmarès publiés chaque année contribuent, nous dit-on, à l’émulation des publics et permet le choix éclairé des familles qui élisent LA bonne école, insinuant par là que toutes ne se valent pas… La fin de l’égalité promise par le service public est donc d’abord idéologique.
Les évaluations répétées et le pilotage du système par la performance contribuent à décerveler les personnels et les mettre sous le joug de leurs évaluateurs. Elles se situent à deux niveaux, les élèves et les personnels. A mesure que les premières se multiplient, elles perdent leur sens… Pour « coller » aux objectifs assignés par l’institution, les résultats sont tronqués et le nombre d’élèves « validés » en bout de course, de façon arbitraire, dévalorise l’évaluation elle-même… et rend la tâche dénuée de sens.
L’esprit d’entreprise qu’on voudrait imposer à l’éducation modifie les comportements, il faut être « meilleur ». La gouvernance du système éducatif se déploie avec force : carrières au mérite, primes, postes à profil et désormais recrutement local, par le chef d’établissement. Derrière cette entreprise de décervelage, se cache aussi la volonté résolue de détruire les solidarités au sein des personnels et donc deruiner tout espoir de réaction et résistance collective…