Cécile Ropiteaux : Renforcer la lutte contre l’extrême droite

Le FN a été battu le 7 mai, mais il a réalisé un score historique. Sa base électorale s’est encore élargie, chez les fonctionnaires, chez les femmes, chez les salarié-es proches d’un syndicat. Il est difficile de connaître l’évolution de ce vote par proximité syndicale concernant notre fédération, la FSU ayant été négligée par les sondeurs pour toutes les élections intermédiaires depuis 2012, mais nous devons y être vigilant-es.
Et quoi qu’il en soit, sous-estimer le danger de l’extrême droite serait une grave erreur.


Des violences sont commises par des satellites du FN qui se sont sentis revigorés par les « Manifs pour tous » de 2013 : Action française, GUD, Identitaires, et j’en passe… qui s’en prennent à des militant-es anti-racistes, antifascistes, et même à des lycéen-nes.

Au niveau des offensives idéologiques, l’éducation à la sexualité risque fort d’être de nouveau la cible de La Manif pour tous, qui va s’adresser au président à ce sujet…

Au niveau politique, l’extrême droite sera présente sous plus d’une étiquette aux élections législatives : parallèlement à ceux du FN se présenteront des candidat-es des comités Jeanne avec Jean-Marie Le Pen, des candidat-es Civitas, catholiques intégristes ou nostalgiques du nazisme, et des candidats Sens Commun, portant l’étiquette Les Républicains mais ayant refusé l’appel de leur parti à voter Macron contre Marine Le Pen…

Les frontières entre le FN et différentes formations politiques sont de plus en plus poreuses, et sa présidente a annoncé le 7 mai sa volonté de construire un nouveau parti, une alliance républicaine et patriote. Mais elle est contestée en interne, et il est difficile de présager quelle ligne va l’emporter, entre une orientation libérale et conservatrice, et la ligne pseudo-étatiste de Philippot.

Notre action syndicale devra tenir compte de cette décomposition / recomposition pour poursuivre notre travail de décryptage et d’argumentation. Continuer à déconstruire l’imposture sociale, mais également le « ni droite ni gauche », que semble porter aussi le nouveau président. Oui, continuer à analyser, décortiquer, débusquer, dénoncer, convaincre, combattre… Mais aussi porter nos alternatives et notre projet de société sans en rabattre, en mettant par exemple toutes nos forces dans la bataille contre la destruction annoncée du code du travail, des droits des travailleur- es, de la protection sociale. Pour René Monzat, l’un des créateurs de Ras l’front, l’urgence antifasciste est de construire « une autre radicalité, une radicalité d’espérance collective qui tarisse à la source le recrutement du Front National. »

Il nous faut prendre en compte également la dimension européenne : même si l’on constate des revers électoraux pour les partis d’extrême droite, leur montée en puissance se poursuit depuis 30 ans, sur fond de crise de la représentation politique, d’affaiblissement des partis de gouvernement traditionnels. Ces mouvements ont en commun un fort sentiment anti-immigré-es, une vision du monde identitaire et occidentaliste du « nous » contre « eux ». La définition culturaliste ou religieuse de ce « eux » leur permet de faire partager plus largement cette opposition, notamment à gauche.

Le syndicalisme a un rôle à jouer dans l’éducation populaire pour lutter contre le racisme et ses avatars, la romophobie, l’islamophobie…, contre les représentations issues du colonialisme. Le racisme ne se limite pas à la xénophobie d’individu-es mal éduqué-es qui se « tromperaient de colère ». Notre lutte doit être politique, et pas seulement morale. C’est un système qu’il faut combattre, qui s’appuie sur des préjugés et produit des discriminations, des injustices faites aux personnes racisées d’un côté, des privilèges pour les personnes « blanches » de l’autre. Cela crée des ravages terribles, la classe ouvrière est divisée, la liberté et l’égalité ne sont pas effectives pour tout le monde.

Nos mandats syndicaux sur le vote des étranger-es ou contre les contrôles au faciès et les violences policières sont loin d’être hors-sol, ils font partie intrinsèque du combat antifasciste : ces mesures contribueraient à consolider un sentiment d’égalité réelle entre citoyen-nes, sans laquelle n’y a pas de justice sociale possible. Plus que jamais, défendons les droits et libertés, la solidarité.

Contribuons à inventer un nouveau « nous », évidemment multiculturel, comme préconisé par Thomas Coutrot : « Ce « Nous » alternatif, populaire, sera décolonial ou ne sera pas. Mais il sera aussi féministe, écologiste, démocratique. »