Cet été a encore vu s’allonger la liste des migrant-es morts en Méditerranée. Le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugié-es publie un rapport, intitulé « Voyage du désespoir », qui indique que plus de 1 600 personnes ont déjà perdu la vie en 2018. Depuis les années 2000, on déplore 40 000 morts en Méditerranée, et il y en aurait le double dans le désert.
Les pérégrinations de l’Aquarius ont mis en lumière les politiques xénophobes des pays européens, qu’elles soient brutales et assumées comme le refus de l’Italie d’accueillir les migrant-es secouru- es, ou plus hypocrites comme le silence honteux de la France, un des pires pays d’Europe quant au nombre de personnes accueillies. Comme le dénonce Étienne Balibar, « de Calais à la frontière italienne, on traque les migrant-es et celles et ceux qui leur portent secours ».
La Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et de leur famille, entrée en vigueur il y a 15 ans, n’a été ratifiée par aucun des États membres de l’Union européenne ! Les états agissent en violation flagrante des grands textes internationaux qu’ils ont signés, de la Déclaration Universelle des Droits Humains au Pacte sur les droits économiques, sociaux et culturels.
Un fort ressentiment anti-migrant-es s’exprime en Europe, quel que soit leur nombre réel dans le pays, et quelle que soit sa situation économique. Parallèlement à la progression dans les urnes de partis racistes, nationalistes et europhobes, la violence de l’extrême droite est partout présente : manifestations néo-nazies en Suède, rassemblements haineux en Allemagne, avec de véritables « chasses aux réfugié-es », agressions contre des étranger-es en Italie… En France aussi l’extrême droite tue, le procès des assassins de Clément Méric est là pour nous le rappeler.
Le nationalisme et la xénophobie sont alimentés par les politiques libérales, les effets de l’austérité et le développement des inégales sociales et territoriales. Ils se nourrissent également des discours stigmatisants dans lesquels pointe un racisme de plus en plus décomplexé.
La responsabilité de tous celles et ceux qui contribuent à banaliser ces idées est immense ! Et on ne les trouve pas uniquement sur la droite de l’échiquier politique. En Italie, le Mouvement 5 étoiles se montre tout à fait compatible avec la Liga ; en Hongrie, les Verts envisageraient une alliance avec le Jobbik… L’heure est au confusionnisme. Parfois le discours sur les migrant-es est plus insidieux, comme celui de Sahra Wagenknecht, issue de Die Linke, mais il est révélateur d’une dérive tout aussi alarmante. Le mouvement syndical n’est pas étanche à ces idées non plus. L’objectif de « se recentrer sur les questions sociales et la lutte contre les inégalités » est tout à fait légitime, à condition de ne pas mettre les travailleur-es en concurrence ! Les idées rouge-brun ne seraient alors pas loin… Comparer les chômeur-es, les pauvres, à un autre groupe humain nous renvoie aux heures les plus sombres de notre histoire…
Au XIXe, Marx écrivait déjà : « Cet antagonisme [entre travailleurs « nationaux » et immigrés] artificiellement maintenu et intensifié par les classes dominantes est le secret de l’impuissance de la classe ouvrière. » Et Jaurès, contre les arguments nationalistes, en appelait à une protection accrue et revendiquait l’idée d’« assurer un salaire minimum pour les travailleurs, étrangers ou français, de façon à prévenir l’effet déprimant de la concurrence ».
Selon l’historien Roger Martelli : « Affirmer que la régulation des migrations créera du mieux-être est dangereusement mensonger. (…) Ce ne sont pas elles qui sont au cœur du marasme vécu, mais le trio infernal de la concurrence, de la gouvernance et de l’obsession identitaire », c’est « l’universalité de la dérégulation. »
Il est de notre responsabilité, en tant qu’organisation syndicale, de mettre l’accent sur nos fondamentaux que sont la lutte des classes et la solidarité ouvrière, y compris internationale, quelles que soient l’origine, la nationalité, la religion des personnes, contre leur mise en concurrence, et d’avoir un discours très clair basé sur l’égalité des droits.