Le projet de loi renseignement a été adopté à l’Assemblée Nationale par 438 voix contre 86. Les député-es sont restés sourds aux critiques du Défenseur des Droits ou de la CNCDH, et à toutes les voix de la société civile, dont la FSU, qui se sont exprimées contre ce projet.
Pourquoi une telle opposition ?
Le sociologue Laurent Mucchielli parle de mirages sécuritaires :
– un mirage juridique : on rajoute dans l’urgence une couche supplémentaire à l’empilement de lois sur la sécurité, comme en 2006, 2011, 2012, 2013, 2014, cette dernière n’étant même pas entrée en application. Comme le dit La Quadrature du Net, « Depuis 1986 chaque acte terroriste a été suivi d’une loi antiterroriste, lesquelles entraînent systématiquement un recul des libertés fondamentales au prétexte de la sécurité. »
– un mirage technologique : la technologie nous protègerait mieux, ce qui relève d’une forme de pensée magique… ou d’un cynisme éhonté.
Penchons-nous sur les fameux algorithmes : le gouvernement veut installer « des boîtes noires pour détecter automatiquement une succession suspecte de données de connexion ». Et il pense rassurer en ajoutant que cela ne visera que les métadonnées, pas les contenus. Mais celles-ci permettent de dépeindre la vie d’une personne avec bien plus d’exactitude que de simples écoutes : dis moi qui tu contactes… Pour cela, le dispositif analysera l’intégralité des données transitant sur les réseaux des fournisseurs d’accès à Internet en France, il s’agit donc bien de surveillance généralisée.
Selon des spécialistes de l’intelligence artificielle, cela sera coûteux, intrusif et inefficace. Parce que même avec un algorithme hyper performant, on aura une quantité considérable de faux positifs, et donc beaucoup plus d’innocents que de coupables détectés, de l’ordre de 599/600.
Sans parler des IMSI catchers, fausses antennes-relais qui aspirent les données (répertoire, conversations) de tous les téléphones passant à proximité. Et qui coûtent la bagatelle de 4,5 millions d’euros à la douzaine, qu’on aimerait mieux voir affecter à des moyens humains de prévention.
De la surveillance au fichage, il n’y a qu’un pas, et l’actualité biterroise sur le pointage des élèves supposé-es musulman-es par Ménard nous a encore donné la preuve que le risque de dérives n’est jamais loin.
Le projet de loi étend bien au-delà de la lutte contre le terrorisme le domaine d’intervention des services de renseignement, en même temps qu’il affaiblit leur contrôle et porte atteinte au principe de séparation des pouvoirs.
Danger pour les réseaux militants : Attac rappelle que « La surveillance de masse met gravement en danger notre liberté de contester et de changer le système : surveillance en amont et répression en aval sont les deux faces d’un système cadenassé. »
Menaces sur la présomption d’innocence. La chercheuse Antoinette Rouvroy nous alerte sur ce délit de « pré-terrorisme », lié au « fantasme de maîtrise de la potentialité » : « On n’est même plus dans la probabilité. La préemption, c’est agir par avance sur tous les possibles, sans se soucier des causes. Pas de prévention. On éradique directement. » Souvenons-nous de Minority report.
Avec cette loi, nous glisserions d’un État de droit vers un État de police, dans lequel, nous prédit Edwy Plenel : « le soupçon remplacera la preuve, les opinions deviendront des délits, des fréquentations s’avéreront coupables, des curiosités se révéleront dangereuses ».
Pour conclure je citerai le philosophe Patrick Viveret, qui écrivait le 13 janvier : « une logique de peur et de repli identitaire faciliterait encore davantage la lepénisation des esprits. Ce serait pour nos amis de Charlie une seconde mort. »