Le discours dominant revient sans cesse sur les « valeurs de la République », notamment dans les injonctions faites à l’école. Mais le risque est grand qu’elles ne soient plus qu’une abstraction désincarnée.
Les libertés, collectives et individuelles, sont mises à mal par l’état d’urgence, et par une avalanche de lois sécuritaires depuis deux décennies, cela a déjà été évoqué.
La liberté de circulation et d’installation devrait imposer le devoir d’asile. La France, prétendument pays des droits de l’homme, est un des pays d’Europe qui a fait le moins d’effort pour accueillir des réfugié-es : ils et elles sont soit bloqué-es aux frontières, soit accueilli-es dans des conditions indignes. En témoignent les évacuations de campements de fortune, parfois avec expulsion du territoire à la clé. Ces questions sont instrumentalisées par des hommes politiques comme Ciotti ou Wauquiez qui attisent les peurs et les haines, ou Briois qui lance la charte « ma commune sans migrants ».
L’Égalité est à géométrie variable, la promesse du droit de vote des étranger-es a été jetée aux oubliettes, les discriminations liées aux origines causent des ravages, comme le montre le récent rapport du Défenseur des Droits sur l’accès à l’emploi, avec leurs conséquences douloureuses sur les trajectoires professionnelles et les vécus personnels. Les immigré-es et leurs descendant-es sont relégué-es dans un statut de citoyens et nes de seconde zone, héritage du passé colonial.
Depuis le début des années 2000, douze personnes par an en moyenne sont tuées par la police : dans la très grande majorité des cas, ces victimes sont issues de l’immigration, comme Adama Traoré en juillet. Parce que chaque jeune « des quartiers » est en fait un délinquant présumé, version moderne des classes dangereuses. Les contrôles au faciès, les brimades, les coups, accompagnés de poursuites pour outrages à agent, font partie du quotidien.
Tous ces faits font système. Peu à peu, le racisme biologique s’est mué en racisme culturaliste, avec notamment la désignation des musulman-es comme menace pour la « civilisation occidentale ». Plus de vingt ans de surenchère, de discours médiatiques et politiques posant l’Islam comme problème ont généré une islamophobie grandissante. Afin de se rendre acceptable, ce racisme « ordinaire », largement partagé, se dissimule souvent derrière le masque de la laïcité, de la liberté d’expression, ou de la défense des droits des femmes, comme nous l’évoquons dans le Pour Elles.
Tout musulman, toute musulmane, réel-le ou supposé-e, devient suspect-e. A moins qu’il ou elle se fasse « discret », invisible. Le danger de cette psychose collective est qu’elle laisse possible le passage à l’acte, l’agression physique comme suite logique des exclusions et des violences symboliques.
On fustige le communautarisme, mais demandons-nous plutôt qui conforte les communautés. Les dominants assignent perpétuellement les dominé-es à leur identité, qu’elle soit de classe, d’origine, de culture, de religion, de sexe, d’orientation sexuelle… Ils les taxent de communautarisme quand justement ils ou elles revendiquent l’égalité des droits (et non des droits spécifiques), du mariage pour toutes et tous au droit de vote, en passant par la liberté de conscience et d’expression… Alors oui, quand on est discriminé-e, victime d’exclusion, on inverse le stigmate, on affiche fièrement cette appartenance au groupe auquel on est sans cesse renvoyé-e, dans un réflexe non pas communautariste, mais communautaire.
Quant à la fraternité… elle exclut du contrat social les non frères, c’est-à-dire les femmes et les non blancs, et cette exclusion fonde notre république : on comprend mieux alors les dysfonctionnements de notre société.
Cette révolution conservatrice qui permet entre autres l’expression d’un racisme décomplexé, est à l’offensive sur bien des fronts. A nous de ne pas rester dans l’atonie, de prendre des initiatives avec nos partenaires afin de combattre toutes les facettes du racisme, de trancher toutes les têtes de la bête immonde. C’est un combat vital pour le mouvement social et pour la société tout entière ; le syndicalisme doit s’en saisir, et la FSU y a toute sa place.