Depuis l’automne, la parole des femmes se libère, ou du moins elle est enfin écoutée, entrainant une prise de conscience générale, et la levée progressive de l’impunité sur les violences de genre, et c’est une bonne chose. Y aura-t-il un avant et un après #metoo ? De nombreuses féministes le pensent, parlant même d’une « étape décisive dans la libération des femmes et du désir »[[Clémentine Autain]].
Évidemment, les choses ne se font pas sans résistance, et des controverses tentent de détourner l’attention de l’essentiel, en disqualifiant ces paroles de femmes, y compris dans les médias généralistes (cf articles d’Acrimed).
Les médias réactionnaires n’ont pas manqué de fustiger les féministes, et de revendiquer qu’on ne touche pas à la virilité et la féminité, comprenez à la domination masculine et à la soumission féminine, dans un réflexe d’auto-défense passéiste, essentialiste et hétérosexiste.
Et puis il y a eu la tribune du Monde, portée par des femmes de la classe dominante, parmi celles qui ont « tiré leur épingle du jeu au sein du système patriarcal »[[Leslie Kaplan]], et qui opposent liberté et égalité. Mais « cette prétendue liberté est encore et toujours celle d’une complémentarité asymétrique et d’un devoir des femmes à consentir »[[Réjane Sénac]].
La tribune véhicule la caricature éculée des féministes, sorcières psycho-rigides et « mal baisées » qui agiraient par haine des hommes… Cela pourrait faire rire. Pire, elle délégitime la parole de millions de femmes. Or, dire qu’on a été victime, c’est justement sortir de la posture de « victime silencieuse et isolée »[[Tribune « Les féministes peuvent-elles parler ? »]], c’est reprendre la main sur sa vie en participant à un acte collectif d’émancipation.
Les signataires prétendent prendre la défense des hommes, mais quand elles parlent de leur « pulsion sexuelle [qui] est par nature offensive et sauvage », ce sont au fond des propos sexistes. Est-il valorisant pour les hommes de s’entendre comparer à des brutes épaisses incapables de se contrôler ?
Cette tribune a suscité des réactions nombreuses, pertinentes, et solidement construites. Au final, elle aura permis aux féministes d’affûter et de promouvoir leurs arguments (et je les cite abondamment).
Depuis les années 1970, les luttes contre le sexisme se situent dans la continuité de celles pour l’émancipation sexuelle, et l’histoire montre que « sur les voies de l’émancipation, s’inventent aussi de nouvelles formes d’érotisme, de relations et de désirs »[[Juliette Rennes]].
Les féministes ne refusent pas la séduction et la sexualité, elles en rejettent les normes traditionnelles, basées sur des schémas étriqués. Refuser la violence, ce n’est pas éteindre le désir. « Ce qui est désirable ou pas n’est pas inscrit dans une nature éternelle, mais dans une histoire politique du désir »[[Juliette Rennes]].
« Ce bougé radical dans la conception de la séduction et des rapports charnels suppose toujours d’attirer l’autre à soi, mais pas pour le posséder : pour nourrir une relation entre sujets libres et égaux »[[Clémentine Autain]].
Non, les féministes ne sont pas du côté de l’ordre moral ! Elles ne veulent plus être seulement objets de désir mais se revendiquent sujets désirants, et veulent placer le débat sur le terrain politique. La liberté et l’égalité ne sont pas contradictoires : « l’égalité est la condition de la liberté. Pour être libre, il faut être un sujet égal, émancipé de la maîtrise par un plus fort »[[Réjane Sénac]].
Rappelons que « Le féminisme est un mouvement qui vise à mettre fin au sexisme, à l’exploitation sexiste et à l’oppression. […] Cette définition […] énonce très clairement que le mouvement n’est pas anti-mâle. Il est clair que le problème est le sexisme »[[Bell Hooks]].
Allons plus loin, avec le livre d’Attac-Copernic publié en 2013 : Le féminisme pour changer la société. Combattre les inégalités subies par les femmes est un puissant levier de transformation sociale : créer 500 000 places dans un service public de la petite enfance qui serait gratuit permettrait à davantage de femmes de travailler, et créerait des emplois majoritairement féminins ; et en accroissant le taux d’activité des femmes, on gagnerait pour le financement des retraites. Cela suppose de s’attaquer au système capitaliste pour une autre redistribution des profits. Plutôt que viser à ce que les femmes puissent articuler vie professionnelle et vie familiale, exigeons la réduction du temps de travail pour toutes et tous. Interdire le cumul des mandats en politique, modifier les modèles de l’engagement politique, syndical, ou associatif, améliorerait la démocratie.
Bref, le féminisme est un vecteur de progrès pour toutes et tous, vers une société plus égalitaire et plus juste.