Depuis le mois de novembre, le mouvement des Gilets jaunes interroge, voire bouscule le syndicalisme. Si la volonté d’instrumentalisation du mouvement par des courants poujadistes, anti-fiscalistes, ou de défense des automobilistes, a pu susciter notre défiance, si des expressions racistes ont pu émailler certaines manifestations, l’émergence progressive des revendications a rapidement montré que c’était bien la justice sociale et fiscale qui était le moteur du mouvement.
Certes, le FN tente de vampiriser nos revendications sur ce terrain, ce n’est pas nouveau ; mais nous sommes suffisamment outillés syndicalement pour passer aux travaux pratiques et démonter l’imposture sociale de l’extrême droite, dans les cortèges comme sur les ronds-points. Ce mouvement est aussi l’opportunité pour le syndicalisme d’aller à la rencontre de personnes ou de secteurs professionnels qu’il ne côtoie pas habituellement.
Il ne s’agit pas de minimiser les incidents racistes, sexistes, homophobes, antisémites qui se sont parfois produits. Mais de dénoncer la volonté du pouvoir de les utiliser pour discréditer et diaboliser l’ensemble des gilets jaunes, pour justifier la répression et occulter tout le reste, de la même façon qu’il montre du doigt les violences des seul-es manifestant-es. Au cœur des manifestations ce ne sont pas ces slogans-là qu’on entend ! L’imbécile pleure sur la Porsche qui brûle quand les sages en jaune montrent l’ISF et le CICE.
Macron prétend encore se poser en barrage à l’extrême droite. Mais nous ne sommes pas dupes ! Qui remet sur la table les questions de l’immigration et de la laïcité ? Macron dans son grand débat ! Qui ouvre ainsi un boulevard à l’extrême droite ?
Notre vigilance doit continuer à s’exercer face à toute dérive complotiste ou raciste. Il est vrai que l’apolitisme revendiqué, la dénonciation de l’opposition entre un « peuple » et une « élite » sont autant de points d’ancrage pour l’extrême droite. Le risque de récupération est réel, les sondages de décembre ont montré que c’était le FN (RN) qui paradoxalement tirait les marrons du feu… pour le moment.
Une autre dimension intéressante et dont notre syndicalisme doit s’emparer est la question démocratique mise en avant par le mouvement. « Les Gilets jaunes ont réveillé l’idée de citoyenneté active fondée sur la compétence du peuple. » Toutefois, la conception citoyenniste de la politique qui prône le consensus repose sur l’idée d’un peuple qui serait uni, elle gomme les divisions partisanes et invisibilise les rapports de domination, notamment de sexe et de race. C’est en particulier le rôle des organisations syndicales que de remettre en avant les clivages sociaux ainsi que les idéologies fondatrices de notre projet de société. « Pour construire quelque chose au-delà de la colère, les gilets jaunes vont devoir se rassembler autour d’un certain nombre de valeurs », et nous pouvons peser pour que le mouvement « s’affirme dans la défense d’une société égalitaire et ouverte ».
La présence des forces de gauche est donc éminemment nécessaire ! Le 12 janvier, plus de 250 universitaires, intellectuel-les et artistes ont publié une tribune pour dire leur solidarité avec le mouvement des Gilets jaunes, estimant que « c’est la responsabilité historique de la gauche de ne pas laisser le champ libre à l’extrême droite ».
On peut même aller plus loin contre les réactionnaires : prenons en compte également la forte présence des femmes dans le mouvement, et le fait qu’elles commencent à organiser des manifestations spécifiques, même si pour l’instant elles les qualifient de « féminines plutôt que féministes » ; nous pouvons contribuer à ce que ces femmes continuent à prendre conscience de leurs intérêts communs et de leur pouvoir d’agir, c’est le rôle traditionnel des syndicats, dans le cadre d’un projet émancipateur, et donc aux antipodes du rôle que leur confèrent les extrêmes droites !
Gilets jaunes, rouges, verts, mauves : à nous aussi de faire en sorte, par notre présence, qu’il n’y ait pas de gilets bruns ou bleu marine.