Extraits d’une fiche pédagogique sur le site Eduscol :
« Quelles sont les différences entre les noirs et les blancs ? » ; « Qu’est-ce que les noirs ne peuvent pas faire comme les blancs ? »Vous trouvez cela choquant ? Vous avez raison, et un grand nombre de personnes partagent probablement cet avis. Mais quand il s’agit des filles et des garçons, ce qui est le véritable sujet de ces questions que j’ai détournées à dessein, nous sommes déjà moins nombreuses et nombreux à nous en offusquer.
Si je laisse le bénéfice du doute à cette fiche d’éducation morale et civique, je dirai qu’elle est maladroite et trop succincte. Les intentions étaient sans doute sincères, d’ailleurs les quelques références citées sont intéressantes, notamment le Centre Hubertine Auclert, avec lequel nous travaillons. Mais, en l’absence de formation, la façon dont cette activité peut être menée dépendra fortement des convictions de chaque PE, et même aboutir au renforcement des stéréotypes. Il faut continuer à dénoncer les insuffisances de l’éducation à l’égalité déconnectée d’une vraie formation continue, c’est-à-dire en présentiel.
Ensuite, j’ai tout de même des interrogations sérieuses concernant la philosophie à l’oeuvre derrière ces ressources proposées par le ministère. Une autre fiche pour le cycle 3, à partir d’un récit évoquant la fable Le loup et le chien, invite les enfants à choisir entre deux valeurs : la liberté ou le bien-être… Je vous laisse apprécier.
Une autre fiche encore questionne : « Pourquoi peut-on parfois avoir peur des gens différents ? », avec l’objectif tout à fait louable que les élèves parlent de respect, de rejet, de racisme, d’égalité… Mais la façon dont la question est posée est problématique : qui est différent ? Et différent de qui ? Qui incarne la norme, et qui s’en écarte ? ne va-t-on pas aboutir à la stigmatisation de certain-es élèves, selon leurs origines ou bien en situation de handicap ?
Si on revient au genre : pourquoi préciser que les filles et les garçons sont égaux en droits ? En posant des questions sur ce que SERAIENT les filles et les garçons, le risque est grand de retomber dans l’essentialisme. N’aurait-il pas été plus pertinent d’inviter les enfants à réfléchir aux différences en termes de loisirs, de jeux et jouets, de goûts et de couleurs, de vêtements ?
J’en profite pour vous informer de la mise en ligne (très prochaine) d’une version actualisée et enrichie de notre document téléchargeable pour éduquer contre le sexisme et l’homophobie.
Petit détour par le collège, avec une fiche pour la 3e qui prévoit de décrire les caractéristiques « féminines » et « masculines » de personnalités. Comme femmes ne correspondant pas aux critères traditionnels sont citées… Angela Merkel et Laurence Parisot ! Est-ce à titre de modèles ???
Tout cela me semble tout de même révélateur de la période post-ABCD, avec des concessions faites aux réactionnaires et aux conceptions différentialistes. De la différence à la complémentarité, il n’y a qu’un pas, et c’est au nom de cette complémentarité que les femmes sont confinées, au moins dans les mentalités, à la sphère domestique, et donc qu’elles subissent les temps partiels imposés, les salaires et pensions inférieures, et se sentent moins légitimes dans la sphère publique. On est bien loin de l’égalité.
Petit bonus : je n’ai pas pu m’empêcher de remarquer que ces fiches mentionnent le rôle DU maître : IL préside la séance. IL répartit la parole. LE professeur lit l’histoire… Heureusement qu’on parle d’égalité !!!
Je voudrais pour terminer vous faire partager deux citations très modernes : « Je dis que mâles et femelles sont jetés dans le même moule. Sauf l’institution et l’usage, la différence n’y est pas grande » ; « Les forces [des femmes] seraient égales si leur éducation l’était aussi. » La première est de Montaigne, la seconde de Montesquieu.