Début février, le FN a rendu public son programme… enfin, celui de sa candidate : les mots Le Pen ou Front National ont disparu, signes de la stratégie de « dédiabolisation ». Et puis ce n’est pas un programme, mais un projet présidentiel, un inventaire court de 144 « engagements », imprécis et très peu chiffrés. Ainsi Marine Le Pen garde la main sur la campagne, elle peut adapter son projet à l’actualité, et aux évolutions de l’opinion. Le but étant de séduire différentes cibles, on peut avoir des contradictions et des incohérences d’une proposition à l’autre, sur lesquelles nous devons mettre le doigt : si le FN semble attaché aux services publics, afin d’attirer l’électorat des zones rurales ou périurbaines, il affiche sa volonté de mettre des moyens pour la police, les douanes et les places de prison. De même, il fait le choix d’une prime au pouvoir d’achat plutôt que l’augmentation des salaires ; néanmoins il promet une revalorisation pour les fonctionnaires…
Toutefois une ligne se dégage nettement : celle de la priorité nationale, que le FN veut inscrire dans la Constitution, et qui est déclinée depuis la priorité à l’emploi, aux prestations sociales, à l’attribution de logement social, jusqu’à la composition des équipes de sport professionnelles ! Cette priorité, qui tente de donner un masque respectable au racisme, est évidemment à l’opposé des valeurs de justice sociale et de solidarité défendues par le mouvement syndical.
Pour décrypter ce projet, il faut le confronter aux propos tenus par les responsables du FN, ainsi qu’aux remontées de l’Observatoire intersyndical des villes gérées par l’extrême droite. Le groupe de travail fédéral a commencé à s’y atteler.
Mais Marine Le Pen privilégie surtout la communication, elle tape de plus belle sur le « système » ce qui lui évite de répondre sur le fond par rapport aux affaires judiciaires. Dans un 4 pages très « people », elle tient à présenter « la femme qui se cache derrière l’élue ». Elle se place du côté des femmes et de leur quotidien concret, joue la carte de la proximité, de sa « sensibilité féminine » qui « l’incline[rait] davantage à la défense des plus faibles ». C’est assez ironique venant de la châtelaine de Montretout…
Dénoncer l’imposture sociale du FN, c’est aussi sur le terrain, et nous y sommes ! Dans des rassemblements comme dans l’Aveyron, à Nantes, en Guyane, et ailleurs, pour dire haut et fort que Marine Le Pen n’est pas la bienvenue ! Ou comme à Marseille, ou des militant-es SNUipp ont redistribué aux migrant-es les chocolats de Noël du maire Stéphane Ravier.
Nous n’oublions pas non plus la responsabilité des gouvernements dont les politiques austéritaires ont aggravé les inégalités et engendré la désespérance sociale, qui nourrit le vote FN.
Dernièrement, le discours de Marine Le Pen s’est « re-droitisé », et Philippot semble en perte d’influence. C’est la conséquence du discrédit de Fillon : Le Pen veut piocher dans cet électorat. Ce qui montre bien son opportunisme et son hypocrisie.
Le FN est-il un parti fasciste ? Trancher ce débat aujourd’hui n’est pas l’urgence. Mais comment appelle-t-on un parti dont la candidate refuse de répondre à la convocation de la justice, menace les juges et les fonctionnaires, interdit l’entrée de ses meetings à des journalistes, veut étouffer les syndicats et dissoudre les groupes antifascistes ? Non, le FN n’est pas un parti comme les autres.
Mais ses idées et ses pratiques diffusent dans d’autres partis politiques, ce n’est pas nouveau, et nous dénonçons aussi clairement cette porosité. Je prendrai comme seule illustration le rassemblement appelé par Fillon dimanche, Fillon qui crache sur les institutions, la justice, les médias et les élu-es ! Cette manifestation constitue une grave remise en cause de notre démocratie. Les mêmes qui défilaient contre l’égalité en 2013 défilaient dimanche contre la justice.
Il nous faudra poursuivre la mobilisation pour les législatives, afin de limiter le nombre de député- es d’extrême droite, frontistes ou issu-es de Sens commun, et donc de « La Manif pour tous » (par exemple). Pour mener ce combat, il nous faudra, ainsi que l’écrit Michaël Löwy : « nous inspirer, avec une distance critique, des traditions anti-fascistes du passé, et savoir aussi innover pour répondre aux nouvelles formes du phénomène ».