Une fois de plus nous avons fait barrage à l’extrême droite. Mais de nouvelles digues ont sauté, et le FN peut envisager désormais une recomposition politique basée sur une stratégie d’alliances, le temps où il était jugé infréquentable est révolu. Marine Le Pen a en partie réussi son entreprise de banalisation et sa base électorale s’élargit encore, y compris au sein de populations qui lui étaient jusque là franchement défavorables : chez les fonctionnaires, les catholiques, les femmes, les salarié-es proches d’un syndicat. Gardons-nous bien de considérer cette montée de l’extrême droite comme une suite de péripéties électorales ! Le danger fasciste n’est que très provisoirement écarté, et il y a dans notre pays une vraie envie d’extrême droite, comme le souligne Nicolas Lebourg, qui parle d’« imprégnation culturelle massive ». Les analyses portant sur la sociologie électorale, dont celles de Nonna Mayer, montrent que le vote FN reste majoritairement un vote de droite, avec pour ciment le rejet de l’immigration.
Les responsabilités de la banalisation du FN, de la porosité des idées d’extrême droite sont multiples (médias, personnalités politiques, etc), nous les avons déjà dénoncées. Cela aboutit à une société profondément fracturée, dans laquelle l’identité des groupes sociaux se construit par opposition, alors que notre identité commune est multiculturelle.
Jérémy Robine pointe que le Front national « prospère sur l’incapacité à penser la question raciale au sein de la nation française » et que dans la campagne présidentielle « Aucun candidat n’a traité de l’existence d’un ordre racial inégalitaire engendrant frustrations et angoisses ».
Le syndicalisme a un rôle à jouer dans l’éducation populaire pour lutter contre le racisme et ses avatars, la romophobie, l’islamophobie…, racisme basé notamment sur des représentations issues du colonialisme, contre la décohésion que cela engendre. Le racisme ne se limite pas à la xénophobie d’individu-es mal éduqué-es qui se « tromperaient de colère ». C’est un système qu’il faut combattre, qui s’appuie sur des préjugés et produit des discriminations, des injustices faites aux personnes racisées d’un côté, des privilèges pour les personnes « blanches » de l’autre. Cela crée des ravages terribles, la classe ouvrière est divisée, la liberté et l’égalité ne sont pas effectives pour tout le monde.
Comment lutter contre l’extrême droite ? L’histoire montre que les fascistes s’adressent « à ceux d’en bas » avec un discours radical, sans compromettre pour autant les intérêts de « ceux d’en haut », en assumant souvent un positionnement politique « ni droite ni gauche ». Continuons à déconstruire l’imposture sociale, même si la chose pourrait s’avérer plus aisée par un possible repositionnement du FN à droite. Mettons toutes nos forces dans la bataille contre la destruction du code du travail, des droits des travailleur-es, de la protection sociale, destructions annoncées par Macron.
Et parallèlement, accentuons notre lutte contre toutes les discriminations, toutes les dominations. En ce jour de commémoration de l’abolition de l’esclavage, redonnons toute l’importance nécessaire à la lutte contre le racisme. Une lutte politique, et pas seulement morale. Nos mandats syndicaux sur le vote des étranger-es ou contre les contrôles au faciès et les violences policières sont loin d’être hors-sol : ces mesures contribueraient à consolider un sentiment d’égalité réelle entre citoyen-nes et d’égalité subjective. Ils font également partie intrinsèque du combat antifasciste. Il n’y a pas de justice sociale possible sans égalité pleine et entière.
Nous devons contribuer à inventer un nouveau « nous » évidemment multiculturel. Je terminerai en citant Thomas Coutrot : « Ce « Nous » alternatif, populaire et démocratique, sera décolonial ou ne sera pas, sans aucun doute. Mais il sera aussi féministe, écologiste, démocratique, ou ne sera pas. »