Une grande bataille de chiffres sur les crédits de l’enseignement supérieur et de la recherche (ESR)
s’est déroulée en fin d’année 2011, période de vote des budgets pour 2012.
Le nouveau ministre Laurent Wauquiez se montre fidèle à la ligne d’illusionniste de Valérie Pécresse. Il clame à tout vent que les moyens de l’enseignement supérieur et de la recherche (ESR) ont augmenté de manière massive durant le quinquennat sarkozyste et que le passage de la quasi-totalité des universités aux « responsabilités et compétences élargies » (RCE), découlant de la loi « Libertés et Responsabilités des Universités » (LRU), votée en août 2007, est une réussite qui va leur permettre d’obtenir enfin l’aura internationale qu’elles méritent.
En quoi consistent les RCE ?
Il s’agit pour les établissements de « gérer leur masse salariale ». Les postes de fonctionnaires peuvent, lorsqu’ils deviennent vacants, être affectés à d’autres usages (par exemple, de l’enseignement vers l’administration ou inversement) ou changer de catégorie, sans passer par le ministère pour effectuer l’opération, du moment que la masse salariale totale n’augmente pas au niveau de l’établissement. Il est également possible d’attribuer des primes spécifiques et de recruter librement des contractuels pour toutes les missions.
Or, en novembre dernier, huit établissements passés aux RCE depuis 2008 ou 2009 ont été menacés de passer sous tutelle budgétaire rectorale, en raison de deux exercices comptables déficitaires successifs. Dans ceux-ci et plusieurs autres, les budgets proposés au vote par les présidents pour 2012 (et malheureusement votés par les universitaires eux-mêmes, à l’exception de quelques élus syndicaux, sauf si c’est le président lui-même qui demande de ne pas le voter !) prévoient des mesures drastiques pour atteindre l’équilibre requis : fermetures de formations, sévères baisses de crédits de fonctionnement, renoncement à des travaux programmés, gel de publication de postes vacants, licenciement de contractuels.
Pourquoi ?
Une première explication est le trucage récurrent des chiffres ministériels depuis 2008 : addition des financements sur plusieurs années, « oubli » de retrancher ceux qui sont comptabilisés plusieurs fois, maquillage en crédits des pertes de recettes pour l’État afférentes au Crédit d’Impôt Recherche1, sans que les universités ne bénéficient de cet argent, soi-disant consacré à la recherche par quelques grandes entreprises qui y ont trouvé une formidable niche fiscale ! Le Sénat a même rejeté deux fois le budget 2012 de la MIRES2 , conformément au rapport de la commission sénatoriale qui le jugeait insincère et pointait le fait que l’augmentation des crédits de paiement (les seuls effectivement utilisables !) était inférieure à l’inflation prévue, donc que la dotation réelle serait en baisse par rapport à 2011… De fait, les moyens réels n’ont que très faiblement augmenté depuis 2007 et essentiellement par des crédits sur projets spécifiques. Les milliards annoncés au moment du « Grand Emprunt » ne sont pour la plupart pas encore attribués et seuls les intérêts des placements seront réellement utilisables à terme.
Une autre explication réside dans ce que les « Cassandre » syndicaux avaient annoncé dès 2007 dans le passage aux RCE : le transfert de la gestion de la masse salariale opéré par le ministère s’est fait sans compensation en personnel et des charges « imprévues » ont réduit à zéro les marges de manœuvre espérées ! En outre, les variations de masse salariale induites par le glissement-vieillesse-technicité, le GVT3, sont très difficiles à estimer, ce qui peut conduire à une augmentation inexorable de la masse salariale à payer, sans que la dotation ministérielle ne permette de le faire. Dans ce cas, la seule solution pour ne pas être en déficit est de ne pas pourvoir des postes vacants. Cela revient à faire baisser le nombre de fonctionnaires sans supprimer officiellement des emplois, les établissements le faisant ainsi d’eux-mêmes !
Le but de cet étranglement financier des universités est clairement de les amener à se conformer au modèle préconisé par l’OCDE, faisant une plus grande part au financement privé par les étudiants, comme en Grande Bretagne. D’ailleurs, les propositions d’augmentation massive des droits d’inscription fleurissent actuellement de toutes parts et sont reprises par la Conférence des présidents d’université…●
Claire Bornais (SNESup)
1) Plus de 4 milliards d’euros, dont un rapport parlementaire de 2010 a pointé que cela constituait la plus coûteuse des niches fiscales en France !
2) Mission Interministérielle Recherche et Enseignement Supérieur.
3) GVT = variations inévitables liées à l’évolution
des salaires des fonctionnaires avec l’avancée
dans la carrière, les départs à la retraite de certains,
le recrutement de nouveaux.