Alors que les obstacles à la scolarisation des mineur-es isolé-es
étranger-es (MIE) augmentent dans plusieurs départements, une
association spécialisée dans l’accompagnement des MIE dans l’Hérault
s’est vue contrainte de cesser ses activités à la rentrée. Retour sur
plus de quinze ans au service de l’accueil et de l’insertion de ces
jeunes avec sa responsable Béatrice Hervouet.
Peux-tu nous présenter l’association ?
L’association s’appelle RAIH (Réseau Accueil Insertion de l’Hérault),
elle a été créée en 2001 par des travailleurs sociaux pour améliorer
la prise en charge des MIE de l’Hérault : ils/elles n’accédaient pas
aux services de protection, par méconnaissance et inadaptation des
dispositifs. Ils/elles restaient dans la rue, à la merci d’adultes peu
scrupuleux.
L’association, essentiellement financée par le département, conduisait
trois actions :
– L’animation d’une permanence d’accueil dans son local (de 20 à 30
jeunes chaque jour).
– L’évaluation sociale des mineur-es isolé-es qui se présentent dans
le départe-ment, dans le cadre d’une procédure natio-nale depuis
2013 (530 jeunes « évalué-es » depuis 2014).
– L’accompagnement des mineur-es et jeunes majeur-es dans le montage
de leur dossier de « régularisation » administrative à leur majorité
(près de 200 accompagne-ments depuis 2016, 95 % des jeunes ont été
régularisés).
Nous avons fonctionné pendant 17 ans, mais le département (la
Protection de l’enfance est une compétence départementale) n’a pas
voulu renouveler notre financement cette année. Les premières années,
les jeunes étaient peu nombreux, et ils bénéficiaient d’un a priori
plutôt favorable. Le département les intégrait rapidement dans une
maison d’enfants. Depuis quelques années, le nombre de jeunes est
devenu important et les difficultés sont apparues : expertises
osseuses, recherches « à charge » sur les documents d’identité, refus
de prises en charge… Notre financement a été stoppé car visiblement
nous déclarions trop de jeunes mineur-es. En fait, nous avons sans
doute dénoncé trop souvent des maltraitances « ordinaires » avec en
plus, cette année, des poursuites judiciaires contre certains jeunes
peut-être majeurs qui les ont conduits en prison pendant plusieurs
mois, le département portant plainte, se constituant partie civile et
demandant des dommages et intérêts…
Qui sont ces mineur-es étranger-es dont vous vous occupez ? Quel est leur parcours ?
Les jeunes qui fréquentaient la permanence, ou pour lesquels nous
faisions une évaluation, avaient fui leur pays parce qu’il ne leur
semblait plus possible d’y vivre : guerre, misère, déstructuration de
leur famille, désir d’un avenir meilleur… sont les principales
causes de leur exil. Des causes dont les pays occidentaux sont bien
souvent responsables, du fait de l’exploitation des ressources
naturelles des anciennes colonies. Ces jeunes, à 95 % des garçons,
originaires le plus souvent des pays d’Afrique de l’Ouest, ont
traversé le désert saharien pour arriver en Libye ou au nord du Maroc
et tenter la traversée de la Méditerranée. Inutile de décrire leur
parcours, nous le connaissons bien : faim, soif, mauvais traitements,
esclavage, la mer et ses dangers, les morts…
Arrivé-es en France, ils veulent se poser, parfaire leur connaissance
du français et apprendre un métier : beaucoup sont analphabètes,
n’ont jamais eu la chance d’aller à l’école, c’est un enjeu majeur
pour eux.
Quels sont les principaux obstacles à la scolarisation qu’ils rencontrent ?
Actuellement, les services académiques refusent d’engager une
évaluation scolaire par le CASNAV, et encore moins de procéder à une
affectation, si les jeunes ne sont pas pris en charge par l’Aide
sociale à l’enfance. Or, les jeunes attendent souvent plusieurs mois
avant d’être officiellement pris en charge, malgré les différents
textes qui précisent bien que l’inscription d’un-e élève ne peut être
empêchée par l’irrégularité du séjour, ni par l’absence de référent
légal. La scolarité doit pouvoir commencer quelle que soit la
situation du jeune. Ensuite, il manque globalement de dispositifs pour
les jeunes analphabètes, ce qui fait que s’ils/elles arrivent un peu
tard dans l’année, il leur faut attendre la rentrée suivante.
Comment envisagez-vous de poursuivre cet engagement à l’avenir ?
L’association a fait son temps et son œuvre : rendre visible la
situation de ces jeunes. Mais nous avons les un-es et les autres
(administrateurs/trices et salarié-es) accumulé connaissances et
compétences en matière de droit des mineur-es étranger-es, qu’il est
impensable de laisser dormir. Nous nous mettrons donc au service des
associations de militant-es, RESF par exemple, qui suivent tous les
jeunes éjecté-es des différents dispositifs.
Beatrice Hervouet (propos recueilli par Grégory Bekhtari)
Crédit image : (c) Photothèque rouge