La crise systémique du capitalisme continue de battre son plein.
Juillet et août ont été marqués – comme au théâtre –
par une nouvelle scène de l’acte II de cette crise, celle des dettes souveraines, et par le début de l’acte III avec la chute
des marchés financiers qui se poursuit à cette rentrée.
Quelles en sont les causes ?
Cet acte III a plusieurs causes, conjoncturelles et structurelles. L’étincelle qui met le feu à la plaine est la décision de l’agence de notation Standard & Poor’s de dégrader, le 6 août, la note de la dette souveraine américaine en fonction du compromis boiteux entre Obama et le Congrès – en fait le Tea Party bloqué sur la nécessité de faire respecter des dogmes libéraux passés de mode –. Standard & Poor’s, une agence qui s’est trompée de 2 000 milliards de dollars dans ses estimations… Une paille ! La démonstration est une nouvelle fois faite que ces agences ont un rôle fondamentalement politique et non pas économique.
Ce facteur entre en résonance avec une conjoncture fortement inscrite dans le ralentissement de la croissance. Au deuxième trimestre, les Etats-Unis enregistrent 1,3 % d’augmentation du PIB, 0 % pour la France et 0,1 % pour l’Allemagne. Le spectre de la récession revient hanter les marchés financiers.
L‘euro en crise
Dans le même temps, la crise de la construction européenne, celle de l’euro, continuent d’exercer leurs effets. Le 21 juillet a eu lieu un sommet européen – le 17e depuis les débuts de la crise de la dette grecque – qui s’est traduit par la décision d’étendre les compétences du FESF (Fonds Européen de Stabilité Financière) et du MES (Mécanisme Européen de Stabilité créé 10 jours plus tôt pour succéder au premier en 2013) afin de prêter des capitaux à la Grèce. Il est fortement exigé par Merkel et Sarkozy d’accentuer la politique d’austérité. Ladite politique conduisant inéluctablement à la récession. Tellement que la nouvelle directrice du FMI, Christine Lagarde a mis en garde contre la diminution trop forte des dépenses publiques qui pourrait entraver les possibilités de croissance économique.
Lors de ce sommet, reconnaissant le défaut partiel de la dette souveraine grecque, la BCE a consenti à la participation « volontaire » des banques au niveau de 20 %(1). Plus encore, devant l’extension de la crise à l’Italie et à L’Espagne, la BCE se trouve obligée, au grand dam du gouvernement allemand, de racheter des obligations souveraines italiennes et espagnoles, le 7 août, pour 100 milliards d’euros suivant les estimations publiées par la presse. Le 16 août a lieu une rencontre franco-allemande proposant aux autres pays de la zone euro un gouvernement économique et un projet de taxe sur les transactions financières, deux vieux serpents de mer.
Ces sommets n’ont rien résolu. La proposition d’euro bonds – des obligations de tous les pays de la zone euro et non pas pays par pays – a été refusée. Le gouvernement allemand ne veut pas en entendre parler. Il ne veut pas payer pour les autres. D’une manière générale, dans ce monde de l’après chute du Mur de Berlin, les riches font sécession, ils ne veulent plus payer pour les pauvres. La pérennité de l’euro est menacée et, derrière elle, toute la construction européenne, faute de définition de politique commune. C’est un des avatars les plus visibles des conséquences des politiques d’inspiration libérale. La crise des dettes souveraines ne peut que se poursuivre.
Le tout se synthétise dans le krach financier qui ouvre une nouvelle dimension de la crise systémique.
Acte 1 de la crise…
L’acte I de cette crise systémique, d’ores et déjà plus profonde que celle des années 1930, s’écrit le 10 août 2007. Les marchés financiers dévissent complètement. Les banques sont directement menacées de faillite. Elles avaient cautionné tous les titres – les « subprimes » en particulier – dont le cours s’effondre. La compensation(2) est gelée. Les banques n’ont plus confiance les unes dans les autres. Les banques centrales – la BCE met, par exemple, 40 milliards d’euros sur le marché en un seul jour – viennent au secours de chaque banquier en se substituant à la compensation pour permettre d’éviter le dépôt de bilan. Une réponse microéconomique qui ne résout pas les causes de cette crise, crise de solvabilité et de profitabilité. La preuve en sera donnée le 15 septembre 2008 avec la faillite de Lehman Brothers. Les gouvernements prennent le relais des banques centrales en poursuivant la même politique, éviter la faillite en fournissant des liquidités. Cela fonctionne momentanément. Le système financier, globalement, se trouve à la tête d’énormes liquidités qui continuent d’affluer. Les taux d’intérêt des banques centrales restent très bas, de l’ordre de 0 % pour la FED – la banque de réserve américaine – à 1,5 % pour la BCE.
Que peuvent faire les opérateurs financiers de ces liquidités ? Prêter à l’économie, aux entreprises ? Que nenni ! Pour deux raisons. Du côté des banques on considère que le risque est trop élevé, et du côté des entreprises qu’il n’existe pas beaucoup d’incitations à investir. Le marché final est orienté à la baisse, les consommateurs, faute d’augmentation de leur pouvoir d’achat, restreignent leurs achats. Il ne reste que la spéculation sur les dettes souveraines – les Etats paient toujours, du moins on fait semblant de le croire – et sur les matière premières (3).
Acte 2…
Ainsi s’ouvre l’acte II. Les dettes souveraines sont sur la sellette. L’annulation est à l’ordre du jour comme résultat de la dégradation de la note des pays de la zone euro, avec comme conséquence la montée des taux d’intérêt. La zone est en voie d’éclatement et, derrière elle, toute l’Union Européenne.
L’Acte II trouvait ses causes dans les « solutions » mises en place par les Banques centrales et les Etats. Résoudre une crise de solvabilité par l’augmentation des liquidités mises à la disposition du système financier ne fait que reculer les échéances.
Logiquement, les Etats auraient dû proposer de réglementer les marchés financiers, de supprimer la notation de ces agences de notation concernant au moins leurs dettes souveraines, et de suivre une politique qui se traduise par la hausse du marché final, c’est à dire du pouvoir d’achat des consommateurs, au lieu de s’arc-bouter sur toujours plus d’austérité, toujours plus de baisse des dépenses publiques, toujours plus d’inégalités, provoquant ipso facto la récession. Dans les pays capitalistes développés, 90 % de la population active est salariée. Baisser à toute force la masse salariale est une imbécillité économique. Baisser les nombre des fonctionnaires, c’est remettre en cause toutes les solidarités collectives, c’est s’attaquer aux droits de toute personne. Faire renaître, redévelopper les services publics est une nécessité vitale. La seule justification de ces politiques est de conserver le triple A des agences de notation, considéré par Alain Minc comme un « trésor national » ! Il faudrait en rire, aucun Coluche n’aurait osé la faire.
L’inscription dans la Constitution de la soi-disant « règle d’or » – l’interdiction de dépasser 3 % du PIB pour les déficits publics – ne ressort que de la politique politicienne et lierait les mains d’une nouvelle majorité, tout en aggravant la crise économique. Cette proposition montre bien l’absence de solutions d’avenir pour sortir de la crise du capitalisme des années 1980. Le champ des possibles s’élargit et les gouvernements s’enfoncent dans un monde qui n’a pas de rapport avec celui dans lequel nous vivons. Ils ne voient l’avenir que dans le passé, alors que le présent se décompose.
Une nouvelle dimension
de la crise
L’acte III, comme dans toute bonne dramatique, combine les caractéristiques des actes précédents. La crise est à la fois financière – et de nouveau menace les grandes banques de faillite retentissante avec toutes les conséquences dramatiques pour toute l’économie – et économique : la récession sera plus profonde que celle de 2008-2009 – les économistes étatsuniens parlent de « Great Recession » sur le modèle de la « Great Depression » des années 30 – du fait même de la politique d’austérité, des spéculations, de la baisse du pouvoir d’achat liée à la précarité et au chômage, chômage qui ne peut que croître car les grandes banques, comme les grandes entreprises, licencient massivement pour résoudre leur problème de profitabilité ; enfin l’absence de résolution des causes de la crise conduit à un effet de synergie négative.
Le monde danse sur un volcan. Il ne suffira pas de proposer une réforme fiscale pour trouver les voies et les moyens d’une sortie de crise. Pour le moment, la récession menace. Comme aucune mesure n’est prise pour la combattre, il est loisible de prévoir qu’elle aura lieu. Soit dans le premier trimestre 2012, soit dans le second.
Il serait temps de considérer ce contexte pour construire des réponses d’ensemble. Organisations syndicales, politiques de gauche, et associations se réclamant de ce même combat de classe devraient se rencontrer pour débattre ensemble des propositions permettant la défense argumentée des intérêts des salariés. ●
Nicolas Benies
1) Voir la revue n°30, de mai/juin 2011, page 4.
2) Au jour le jour, les banques se réunissent
et celles qui ont des liquidités les prêtent à celles qui en ont besoin.
3) Il se crée de nouveaux produits financiers,
les trackers, portant sur les indices des cours
de matières premières.