« Si les peuples sont heureux sous la forme de leur gouvernement, ils le garderont. S’ils sont malheureux, ce ne seront ni vos opinions, ni les miennes, ce sera l’impossibilité de souffrir davantage et plus longtemps qui les déterminera à le changer ». Ainsi s’exprimait il y a plus de deux siècles Denis Diderot en des termes qui s’appliquent en 2019 aussi bien à la révolte de la société algérienne qu’à celle des citoyens de Hong-Kong. Ces deux mouvements ont bien plus à voir que ce que la vulgate géopolitique veut nous laisser entrevoir. Face à des gouvernants pour qui ultima ratio regum (ils n’hésitent pas à utiliser la force), la détermination affichée par des populations entières ne peut que susciter notre admiration. Pour continuer à cheminer avec Diderot, nous avons dans les deux cas affaire à un « mouvement salutaire que l’oppresseur appellera révolte, bien qu’il ne soit que l’exercice d’un droit inaliénable et naturel de l’homme qu’on opprime, et même de l’homme qu’on n’opprime pas ». Il y a donc de bonnes raisons de penser que ces révoltes pour et au nom de la démocratie ne sont pas séparables des combats émancipateurs qui devraient nous préoccuper en France dans les semaines et mois à venir.
Comment alerter « l’homme qu’on n’opprime pas » ? Cette question est au centre de nos préoccupations militantes. S’ils ne dédaignent pas l’usage de la matraque, comme le montrent les violences policières récurrentes dans notre pays, les néo-libéraux préfèrent en général opprimer en douceur, c’est-à-dire justifier leurs politiques antisociales et anti-environnementales par des arguments qui oscillent entre les propos du café du commerce (« il est nécessaire de travailler plus longtemps, car l’espérance de vie augmente ») et des mensonges éhontés (« le Suffren sera plus écologique » – Françoise Parly à propos du dernier jouet nucléaire français sous-marin le 12 juillet 2019). Nous avons parfois le sentiment de nous épuiser à combattre la mauvaise foi des dominants et de leurs supplétifs ! La morale tout comme l’urgence des problèmes auxquels l’humanité est confrontée nous appellent tout au contraire à persévérer dans nos engagements militants. Pour autant, la multiplication des occasions légitimes de luttes n’est pas une condition suffisante de la réussite des combats qui nous attendent en cette rentrée. La combinaison des institutions de la Ve République et des modifications intervenues en 2017 dans la composition du personnel politique a produit un raidissement social inédit et, en retour, un regain de conflictualité tout aussi inédit. Il n’y a aucune raison valable à ce que ces luttes prennent fin.
Évidemment, nous aussi sommes malheureux sous la forme de notre gouvernement. Le temps viendra où il sera possible d’en changer. En attendant, il existe des moyens simples à notre disposition pour alerter sur les abus de pouvoir auxquels nous sommes confrontés au quotidien : le référendum contre la privatisation d’ADP et les manifestations pour le climat en sont des exemples. Bonne rentrée.
Christophe Voilliot
1 – Texte inséré dans Raynal (G.-T.), Histoire philosophique et politique des établissements et du commerce des Européns dans les deux Indes, Genève, chez Jean-Léonard Pellet, 1781, tome 9, p. 158.