Une fille fait le premier pas en embrassant un garçon. Ce dernier fait cette remarque en public : « Oh ! J’ai envie de la violer ».
D’une fille performante en course, un garçon dit : « elle ce n’est pas pareil,
c’est un vrai mec ».
Un professeur recommande à des élèves « filles », suite à l’agression de l’une d’entre elles, de contourner le bâtiment B pour éviter de subir des agressions d’un groupe de garçons.
Une affiche de trois professeurs d’EPS informe les élèves d’un tournoi de Beach-volley : l’image montre les fesses d’une femme en maillot de bain avec le commentaire suivant « image non contractuelle ».
Voici quelques exemples d’agressions banales dans tous les établissements et pas seulement ceux déclarés « sensibles ».
C’est pour lutter contre une telle invisibilisation et banalisation du sexisme et de l’homophobie que s’est créée, au lycée Jean Macé de Vitry-sur-Seine, notre association, le Collectif Féminin-Masculin en octobre 2002 suite au meurtre de la jeune Sohane Benziane.
Nous réfléchissons collectivement à l’élaboration d’outils susceptibles de sensibiliser les élèves et l’institution scolaire aux discriminations de genre.
**Avec quels outils ?
Un atelier d’écriture et de théâtre-forum permet de mettre en scène des situations observées ou vécues par les élèves sur le mode du théâtre de l’opprimé.
Les sujets abordés vont du contrôle social par les garçons, aux stéréotypes et l’éducation familiale et scolaire différenciée et inégalitaire en passant par l’homophobie, la découverte de l’identité sexuelle, la réputation et la liberté sexuelle ou les violences dans le couple.
Les élèves présentent leur réalisation devant un public de collégien-nes et de lycéen-nes. Animé par 3 comédien-nes et une auteure, le forum est enrichi par des scènes élaborées lors de séances d’écriture.
Le Collectif Féminin-Masculin co-organise aussi des projections-débats thématiques. Cette année, malgré des réserves, le film « Les garçons et Guillaume, à table ! » de Guillaume Gallienne nous a fourni un cadre avec les associations « le Refuge », le MFPF, ainsi que Claudine le Pallec-Marand, enseignante de cinéma à Paris 8, pour faire réfléchir les élèves sur les stéréotypes de genre, les processus de leur construction sociale, l’enfermement et les discriminations qu’ils engendrent, l’homophobie.
Malgré toutes ces actions, d’importants problèmes demeurent tant parmi les élèves que parmi les personnels.
Il fallait sortir de l’étiquetage et de la stigmatisation que nous subissions de la part de certain-es de nos collègues (« les féministes du lycée »), en montrant que ce combat était avant tout pédagogique.
Cet espace de réflexion visait à développer nos connaissances théoriques et à réfléchir aux moyens de nous adresser à l’ensemble des personnels en leur proposant des outils pour intégrer dans leurs pratiques professionnelles ce souci d’égalité, de façon plus systématique et plus efficace.
Nous avons notamment co-élaboré un questionnaire sur les violences de genre. Ce travail nous a également aidé-es à inscrire plus fortement la lutte contre les discriminations de genre dans le projet d’établissement afin de développer sa légitimité institutionnelle (ateliers sur l’égalité filles-garçons lors de demi-journées banalisées, travail sur le règlement intérieur : féminisation et inscription explicite des discriminations spécifiques, etc.).
**Quels effets ?
Ils sont difficiles à mesurer et nous restons modestes.
Nous avons cependant le sentiment que le fait de maintenir la problématique ouverte favorise sa diffusion dans les classes à travers l’enseignement disciplinaire. Cela nous rend aussi identifiables, ce qui peut contribuer à libérer la parole, notamment des élèves victimes que nous avons eu
l’occasion d’accompagner.
Cela contribue aussi à l’appropriation, par les élèves comme par les personnels, des outils de lutte et de défense contre les violences. Nous avons encore récemment été conforté-es dans cette hypothèse, après avoir constaté la capacité de réaction d’élèves lors de l’agression de l’une d’entre elles : identification de la nature sexiste de l’agression, réaction collective pour désigner l’auteur et sollicitation d’adultes.
Même si le risque de marginalisation doit toujours être contré, une activité féministe identifiable comme telle dans un établissement permet des synergies entre des réalités très diverses : projets, enseignement disciplinaire, violences et vie scolaire, souffrance au travail, etc.
Elle nous semble donc très précieuse à de nombreux égards. ●
Dalila Amerouche et
Sandrine Bourret,
pour le Collectif féminin-masculin