500 000 personnes dans la rue le 9 mars dernier. 150 000 jeunes jeudi dernier. Un million deux cent mille signatures de la pétition contre la loi Travail. Cette mobilisation fait à plus d’un titre figure d’événement.
Après des années de politiques austéritaires offensives qui se sont traduites par la dégradation des conditions de vie du salariat, de la jeunesse, il s’est passé quelque chose. Enfin, diront certains.
Mais il s’agit de regarder concrètement ce qui s’est passé.
D’aucuns font de cette mobilisation notre premier mouvement 2.0, assumant ainsi une filiation avec les mouvements des indignés ou d’occupation qu’ont connu un certain nombre de pays ces dernières années (l’Espagne avec le 15M, les révolutions arabes, le printemps érable au Canada, le mouvement d’occupation des places en Grèce, ou le mouvement occupy aux Etats-Unis). Et il y a des raisons à cela, quand on voit le poids qu’ont pris les réseaux sociaux dans la popularisation de la pétition, mais aussi dans l’accélération du calendrier de mobilisation. En effet, alors que l’intersyndicale avait prévu comme première journée d’action le 31 mars, c’est un appel sur facebook qui met dans le paysage la date du 9 mars, reprise ensuite par les organisations de jeunesse et enfin par l’intersyndicale.
Mais des appels à mobilisations, il y en a plein sur les réseaux sociaux, qui n’ont pas le même succès. Ce ne sont pas les réseaux sociaux en soi qui font la mobilisation, mais le fait qu’ils ont la capacité de révéler des situations. De mettre à jour du réel.
Ce qui a été mis à jour ici, c’est le salariat en tant que ce qu’il est, en tant que mettant en mot ce qu’il vit. Deux indices peuvent nous amener à penser cela.
Tout d’abord, si l’on a pu penser avant le 9 mars que ce mouvement serait avant tout un mouvement de la jeunesse, en décalque de la mobilisation contre le CPE, force est de constater que le gros des manifestations a été le fait du salariat, non seulement des secteurs dont la mobilisation est plus habituelle, mais aussi, et c’est une donnée importante de secteurs moins familiers de la grève et de la manifestation, beaucoup plus marqués par la précarité. Je dis cela sans minimiser l’importance tant numérique que symbolique de la mobilisation des étudiants et lycéens.
En deuxième lieu il y a ce que révèle le #OnVautMieuxQueCa. les réseaux sociaux ont vu fleurir des vidéos, des témoignages sur ce que vivent les gens au travail. Certaines initiatives de rue se situent aussi dans cette dynamique. Ces cinq mots #onvautmieuxqueça, mots ont été attrapés largement parce qu’ils attrapent une réalité bien plus forte que le discours dominant sur le travail. Discours qui est en train de se fissurer, de se craqueler.
Les salariés sont en train d’habiller de leurs mots leur vie. Et ça, dans l’histoire des mobilisations, ce n’est pas fréquent.
Si on prend au sérieux cette idée, on pourra considérer qu’il en train de se passer quelque chose qui dépasse la question de la loi Travail. Un surgissement de réel, après des années de discours sur le travail dominé par le logiciel managérial, par les mots de flexibilité, d’adaptabilité, de rendement et j’en passe…
Ces mots que l’on rencontre aussi dans la fonction publique, qui elle non plus n’est pas épargnée par des conditions de travail et de rémunération terriblement dégradées.
Cette idée est bien entendu une hypothèse. Mais une hypothèse qui doit avoir des conséquences sur notre travail syndical. Si la parole du salariat sur son travail est en train de se libérer et nourrit les mobilisations, elle peut aussi se libérer dans notre champ d’intervention. Et le 31 mars peut constituer une étape supplémentaire de cette libération. Il s’agit pour nous de penser ses suites, en travaillant, en lien avec les mobilisations contre la loi travail, à ce que les enseignants, les précaires de l’Education Nationale, les agents de la fonction publique, eux-aussi disent ensemble, on vaut et on veut mieux que ça.