Quand Jean-Michel Blanquer évoque le caractère inégalitaire de notre système scolaire pour justifier ses réformes, il y a une véritable mystification dont on a déjà fait collectivement l’analyse mais sur laquelle je voudrais revenir.
Ce qu’entend faire Blanquer, c’est exacerber les politiques éducatives qui ont fait de notre système scolaire un des plus inégalitaires des pays de l’OCDE, et ce de façon cohérente, à chaque échelon du système éducatif. Son projet est bien d’assumer pleinement le caractère ségrégatif de l’école et d’avancer dans cette voie.
Pour bien identifier cela, on pourra se référer au propos du président Macron concernant l’accès à l’université : tous les lycéens n’ont pas vocation à suivre des études universitaires et certains doivent être orientés beaucoup plus tôt vers la voie professionnelle et si possible via l’apprentissage. C’est la raison, en lien avec la situation budgétaire dramatique de l’université, de la mise en place d’une sélection à l’entrée dans l’université, et des attaques sur le bac en tant que premier diplôme universitaire.
Pour réaliser ce projet, il faut organiser très vite la différenciation des parcours, en restreignant l’ambition de l’école à l’apprentissage des fondamentaux, en individualisant les parcours et les apprentissages, en isolant chaque élève dans un devenir scolaire socialement déterminé. C’est le sens des premières mesures qui concernent le premier degré.
Le collège sera lui le lieu révélateur de la sélection. Blanquer l’énonce clairement dans son livre : il veut mettre les enseignants du secondaire, je cite « au coeur des mécanismes d’orientation », en les formant « à la connaissance des taux d’emploi et d’insertion par filière.du monde de l’entreprise ». Et l’autonomie plus forte donnée aux établissements, notamment en terme de définition des volumes horaires d’enseignement, permettra le développement, je cite encore, « de parcours personnalisés permettant l’expression des intelligences multiples et l’approfondissement des talents », « parcours de spécialisation avec des dominantes arts, sports, sciences, humanités, préprofessionnalisation ». Ainsi Les élèves issus des milieux favorisés poursuivront leur formation culturelle quand les élèves issus des classes populaires iront en prépro.
Blanquer fait de la question scolaire et de la question pédagogique un espace d’affrontement entre deux choix de société : l’un qui assume le régime générale des inégalités, l’autre qui le combat.
Et il entend faire de nous, enseignants, les acteurs de sa vision ségrégative de l’école. Et donc poursuivre la transformation de nos métiers.
Ses premières mesures en sont marquées. Celles à venir le seront aussi.
Il nous faut préparer la profession à cet affrontement. Lui permettre de résister collectivement à la réassignation de nos métiers qui nous ferait tourner le dos à l’ambition d’agir en tant que professionnel pour la démocratisation du système scolaire.
Cela implique un travail d’information, d’explicitation, de mise en lumière des dynamiques profondes à l’œuvre dans l’ensemble des mesures mises en place. Ce travail est entamé. On le poursuivra.
Mais se pose dans le même temps la question de l’action et ce à deux niveaux. Il y a nécessité de poser au niveau fédéral l’affrontement à la politique éducative de Blanquer dans son entièreté. Il y a aussi nécessité de rattacher tous nos mots d’ordre, sur l’APC, sur les évaluations, sur les sujets à venir, à cet enjeu pédagogique, à cet enjeu professionnel. Ces actions comportent une dimension de résistance qu’il nous faut traiter. Organiser les solidarités, y compris financière. Constituer des collectifs d’enseignants pouvant porter ensemble ces mots d’ordre. Car la résistance a ici quelque chose d’essentiel : elle est l’affirmation collective du refus que nos métiers deviennent ceux du tri social.