Il y a, avec la mise en place par Jean-Michel Blanquer d’évaluations nationales standardisées en CP, CE1, mais aussi en 6ème et en 2nde, un double-enjeu, un double-affrontement. Et donc, selon qui sortira vainqueur de ce conflit, deux niveaux de conséquences pour l’avenir de notre système éducatif.
Le premier enjeu donc, réside dans l’identification de qui sera légitime pour définir ce que sera l’agir enseignant.
Jean-Michel Blanquer prétend à cela. Et Il n’a pas attendu, pour poser les jallons de cette mise sous tutelle de notre métier. Avec les ajustements aux programmes, le petit livre orange, les directives sur le contenu des APC, et des animations pédagogiques, il a multiplié le prescrit. Avec le conseil scientifique, le futur conseil de l’évaluation, ou la réorientation du CSP, il a mis en place les groupes d’experts qui élaboreront les bonnes pratiques dont les enseignants, prolétarisés, seront les exécutants. Et il ne s’arrêtera pas là: statut des directeurs, fusion des écoles maternelle et élémentaire, individualisation les carrières, renforcement du pouvoir des corps d’inspection… Tout cela lui permettra d’augmenter le poids des hiérarchies intermédiaires pour que les enseignants fassent le métiers tels qu’il le prescrit, et non tel qu’ils voudraient le faire.
De fait, il entend qu’un métier tout entier rompe avec son histoire, avec tous ses gestes professionnels longuement décantés nourris de l’apport des mouvements pédagogiques et de l’ensemble de la recherche. Et si l’on regarde les professions qui ont eu à vivre de telles réassignations, c’est d’une violence extrême qu’il nous faut avoir en tête.
Le deuxième enjeu touche à l’ambition même assignée au service publique d’éducation. Car le métier qu’entend nous faire exercer Blanquer est un métier dont les fondements (individualisation des parcours et des apprentissages, resserrement sur les fondamentaux) conduiront à une augmentation des inégalités scolaires et du poids des déterminismes sociaux dans la réussite scolaire. Et il y a là un enjeu politique qui engage plus largement que notre seule profession.
Avec ces évaluations, c’est la première fois que les enseignants auront à se positionner par rapport à ce que Blanquer veut faire de leur métier. Et nous ne pouvons accepter que notre profession renonce à son métier et à l’ambition de démocratisation de notre système scolaire. Il va donc falloir organiser la résistance.
Alors c’est vrai. Tout le monde n‘aura pas conscience de ce qui se joue au moment la passation des évaluations. Mais certains verront l’enjeu et se mobiliseront. Et puis il y aura le moment de la saisie des résultats, l’arrivée des profils d’élèves définis par un algorithme ministériel, la deuxième salve d’évaluation… Autant de moments symboliques forts, ou des prises de conscience pourront se faire, si tant est qu’on a été capable d’engager la mobilisation.
Il nous faut donc définir aujourd’hui un plan d’action qui ne rate aucune des étapes. Et surtout pas la première. Il nous faut sortir de ce CN avec un mot d’ordre fort à même de bousculer les certitudes assénées par Blanquer : appel à ne pas faire passer les évaluations ou à minima l’expression de notre solidarité avec les enseignants qui refuseraient de les faire passer, appel à ne pas remonter les résultats,.
Mais ce premier mot d’ordre ne suffira pas. Il faudra engager une campagne de terrain pour convaincre largement, enseignants et parents d’élèves, que Blanquer s’oppose dans le même temps au respect du métier d’enseignant et à la réussite des élèves issus des classes populaires qui sont majoritaires dans nos classes.
Il faudra multiplier les prises de positions publiques avec l’intersyndicale la plus large possible, avec les chercheurs, avec les associations de parents d’élèves ou les mouvements pédagogiques.
La reconnaissance de notre expertise professionnelle ne peut plus être une demande formulée à un ministère qui entend justement la réduire. Ce sera une reconquête, d’autant plus forte qu’elle affirmera son ambition de démocratiser notre système scolaire.