La réflexion sur le lycée doit se faire comme celle sur le collège, dans le cadre d’une scolarité obligatoire portée à 18 ans. Le même enseignement
peut être proposé à tou-te-s les élèves au lycée.
Mais comment, à court et moyen terme ?
Personne ne récuse l’idée du collège unique au sens d’un collège démocratique et émancipateur pour tou-te-s les élèves.
Malgré l’écart entre cette ambition et la réalité, nous continuons de penser qu’il y a moyen d’offrir le même enseignement à tou-te-s les élèves jusqu’à 15 ans et que tou-te-s peuvent réussir, que toute orientation en amont de cet âge est juste une façon de résoudre l’échec scolaire par l’éviction de l’école des élèves en difficulté.
Or, la problématique est la même pour le lycée : l’orientation en Lycée Professionnel (LP) après la 3ème se fait dans la plupart des cas sur la base d’un échec au collège.
Rares sont, à la fin de la 2nde, les orientations positives vers les filières technologiques. Et nous savons combien il est difficile pour la grande majorité des élèves de 14 ou 15 ans de définir un projet professionnel, question qui s’impose surtout aux élèves en difficulté dans les disciplines générales.
Notre ambition devrait donc être la même pour le lycée que pour le collège, et notre mandat celui d’un lycée polyvalent où tou-te-s les élèves recevraient un enseignement général, technologique et professionnel.
Cela suppose un enseignement au collège et au lycée conçu de façon totalement différente d’aujourd’hui, ce qui ne paraît pas accessible dans le rapport de force politique et social qui est le nôtre actuellement. Pour autant cet idéal doit rester notre visée.
**Que revendiquer pour le lycée aujourd’hui ?
Le lycée unique n’existe pas. Il est actuellement divisé en 3 « voies » – générale, technologique et professionnelle –chacune subdivisée en de nombreuses « séries ».
Nous sommes opposés à cette division de l’enseignement secondaire post collège en trois voies car elles reproduisent la hiérarchie sociale et sexuelle : une sur-représentation des catégories sociales supérieures et des garçons en série S, une sur-représentation des enfants de milieu populaire en voie professionnelle avec, à l’intérieur, des séries genrées au possible. Et entre ces deux extrêmes, toute une hiérarchisation sociale.
Mais si l’on décidait aujourd’hui que tou-te-s les élèves vont au lycée général, vu l’état dans lequel il se trouve, cela prolongerait la situation d’échec des élèves les plus en difficulté et n’aiderait certainement pas les enfants des classes populaires.
Que peut-on revendiquer dans l’immédiat pour éviter le tri social au-delà de la classe de Troisième, et assurer une démocratisation réelle du lycée ?
✓ La sauvegarde d’un enseignement professionnel sous statut scolaire de qualité, aux contenus d’enseignement définis nationalement et proposant une carte des formations non soumise à la pression des milieux professionnels via les Régions.
La casse actuelle de l’enseignement professionnel profite à l’apprentissage et accroît les sorties sans qualification.
✓ Il faut remettre en place des passerelles « ascendantes », type « première d’adaptation », qui permettaient, après un bac professionnel, d’intégrer une première technologique.
Toutes les passerelles actuelles sont « descendantes », de la série S vers les autres, sur une logique erronée de « qui peut le plus peut le moins », comme si les autres séries n’avaient pas des contenus spécifiques qu’un élève de S ne possède pas.
✓ Un espace commun à tou-te-s les élèves. Un rapport de l’Inspection Générale, de 2014, se montre très critique à l’égard du LP, et vante au contraire les lycées polyvalents dont les résultats et la mixité sociale seraient meilleurs.
✓ Il faut s’opposer à la logique d’individualisation des parcours et la logique modulaire. Car, plus le choix est laissé aux élèves, plus on offre un espace pour les parcours d’initiés, et plus les élèves des milieux populaires sont lésés.
✓ Cesser les dispositifs pédagogiques qui éclatent le groupe classe du type Accompagnement Personnalisé (AP), mais au contraire favoriser le travail en petits effectifs qui restent en lien avec le groupe classe.
Depuis la réforme du lycée, les disparités se sont développées entre les parcours des élèves : les textes définissent toujours les horaires globalement pour chaque discipline, mais pas pour les dédoublements.
La première étape pour aller vers un lycée plus homogène serait de revenir à une définition nationale des horaires (avec le détail heures classe entière et heures en petits groupes) et de supprimer l’AP.
✓ Repenser les contenus d’enseignement et prévoir le temps nécessaire pour que les élèves se les approprient réellement. Plus les rythmes sont rapides, plus la part laissée au travail personnel hors classe est grande, plus cela fragilise les élèves en difficulté. Il faut, de façon générale, penser des contenus émancipateurs, en particulier penser un enseignement et une orientation qui combattent la reproduction des stéréotypes de genre.
✓ Arrêter avec les exigences académiques en S qui en font la série reine, celle qui prépare à toutes les orientations post bac : en histoire-géographie par exemple, les attentes sont celles qui préparent à la fac d’histoire ! Si on fait des séries, allons au bout de la logique et faisons en S de l’histoire comme dans les séries technologiques, c’est-à-dire comme simple apport de culture générale.
✓ La question de l’évaluation est un chantier en soi, mais, dans l’immédiat, il faut sauver le bac comme examen terminal anonyme défini et organisé nationalement.
✓ On pourrait aussi creuser l’idée, comme pour le brevet, d’un baccalauréat avec une égale « dignité » de toutes les disciplines et, par conséquent, un coefficient 1 pour chaque discipline mais avec des exigences différentes.
**Quel lycée voulons-nous ?
Si l’on accepte l’idée d’une école vraiment démocratique, il faut mener la discussion sur les savoirs à transmettre et comment les transmettre.
L’enjeu n’est plus de trier les élèves, mais de conduire tout le monde à l’appropriation de savoirs rediscutés, définis et reconnus par la communauté éducative. Cela passerait par :
✓ l’intégration des savoirs dits « techniques » et « professionnels » au cursus commun. Cela signifie un renversement de perspective : intégrer les savoirs techniques et professionnels à la culture commune que tout-e élève doit avoir est la seule façon de valoriser des champs de savoirs et de savoir-faire qui sont socialement dépréciés.
Cela suppose de minorer les enseignements généraux par rapport à l’ensemble, sur un horaire élève que l’on peut porter à 32 heures par semaine, à condition que le travail personnel y soit intégré.
✓ la disparition des paliers actuels d’orientation et donc la fin des filières ou des sections.
✓ pas de concurrence entre les élèves, ni entre les établissements (offre complète de formation partout, contenus et programmes définis nationalement), des enseignants spécialistes dans leur discipline des problèmes posés par l’apprentissage des abstractions liées aux savoirs scolaires, ayant la possibilité de travailler en équipes sur les objets à enseigner, hors des pressions hiérarchiques.
✓ une évaluation qui soit formative et non sélective.
✓ des dispositifs de remédiation réels, et non le redoublement. Il faut arriver à articuler l’unicité du parcours scolaire et son adaptabilité aux besoins de l’élève : donner plus de temps aux élèves qui en ont besoin, leur proposer des dispositifs de remédiation…
✓ Un lycée en 4 ans pour tou-te-s les élèves afin qu’il-elle-s aient le temps de développer leurs apprentissages, leur réflexion sur leur orientation et qu’il-elle-s puissent donc faire de vrais choix, basés sur une solide culture générale.
C’est donc à une véritable révolution pédagogique qu’il faudrait procéder et ce, dès le collège, si l’on considère qu’aujourd’hui les deux véritables paliers d’orientation et de tri social se situent en fin de 3ème et en fin de 2nde.
**Des questions demeurent
D’abord la place laissée au choix de l’élève. L’orientation est souvent un choix par défaut sur la base d’un échec.
On aime les disciplines dans lesquelles on réussit… Pour autant, il est vrai que les élèves peuvent avoir des goûts en positif pour tel champ des savoirs plutôt que pour tel autre, et que le plaisir d’apprendre vient aussi de ces appétences.
On peut imaginer dans le cadre de l’enseignement professionnel ou technologique plusieurs champs possibles, d’autant que, vu leur amplitude, ils ne peuvent tous être enseignés à chaque élève, et il faudra de toute façon choisir.
Même question dans les disciplines générales : on choisit déjà entre plusieurs langues vivantes, on pourrait faire de même à l’intérieur du pôle scientifique ou du pôle sciences humaines.
Mais à quel moment introduit-on une diversité de choix ? Et comment le faire sans rouvrir la porte à des choix socialement déterminés, particulièrement par les stéréotypes de genre ?
Dans le prolongement du point précédent, peut-on penser des séries polyvalentes thématiques ? C’est-à-dire des séries à dominante littéraire ou scientifique ou autre, avec à chaque fois le triptyque général, technique, professionnel ? Autant de questions à creuser. ●
Agnès Akielewicz, Élisabeth Hervouet,
Marie-Cécile Périllat, Olivier Sillam