En octobre 2014, Rémi Fraisse trouvait la mort dans une manifestation à Sivens.
En mars 2015, les manifestants de « Blockupy » étaient plus nombreux que prévu à Francfort et les affrontements avec les forces de l’ordre y ont été aussi plus violent que ce que les observateurs anticipaient.
Un constat comparable à Milan, le 1er mai, avec les manifestations hostiles à l’exposition universelle, les « No Expo ».
Trois situations très différentes dont on peut se demander si elles préfigurent une radicalisation dans les formes de luttes et d’actions collectives.
Depuis une vingtaine d’année, deux évolutions avaient marqué le registre des actions collectives.
C’est d’abord, dans les conflits sociaux éclatant lors de fermetures d’usines, la déconnexion entre la radicalité des formes de luttes et les revendications exprimées par les salariés.
Des luttes qui pouvaient être très longues et surtout très radicales, allant jusqu’aux menaces de déversement de produits toxiques ou de destruction de l’outil de travail. Mais, alors que les syndicats essayaient de défendre le maintien de l’emploi, les salarié-es mettaient l’accent sur les primes de départ, intégrant dans la plupart des cas l’incapacité des travailleurs à défendre un modèle industriel alternatif à celui de la direction.
**La manifestation…
L’autre évolution est beaucoup plus globale et elle touche tous les types de luttes et de mouvements.
C’est l’importance prise par les manifestations comme forme d’action privilégiée. La France a pendant longtemps mis en avant la grève, et surtout la grève générale, comme LE moyen d’action déterminant, celui qui devait permettre des victoire décisives.
Le mouvement social de novembre et décembre 1995 a été un point tournant : si la grève des cheminots et autres secteurs a été très importante, c’est le nombre des manifestants, le « Juppéthon », qui a marqué l’opinion et probablement arraché la victoire.
Dans les vingt dernières années, cette tendance s’est amplifiée, comme on a pu le voir pendant le mouvement sur les retraites de 2010.
Une évolution qui ne se limite pas à la France : à peu près partout dans le monde, les manifestations sont devenues le marqueur des mouvements sociaux et citoyens. La manifestation s’est imposée parce que la grève est plus difficile alors que le travail se précarise et se parcellise, mais aussi parce que cette occupation de l’espace public est devenu un cadre d’expression et de rencontre ouvert à toutes et tous.
Une occupation de l’espace public qui peut perdurer, avec l’occupation des places inaugurées pendant le printemps arabe et mis en avant par les indignés et autre « Occupy » ou dans des mouvements encore plus récents comme celui de la place Taksim à Istanbul.
**Montée des luttes environnementalistes
Les luttes sociales et les mouvements contre l’austérité sont toujours très importants, mais on voit monter en puissance les luttes environnementales, en France comme dans le reste du monde.
Ces luttes ont le plus souvent lieu pour défendre un territoire contre des barrages, des voies ferrées ou des autoroutes, des mines ou autres « grands projets »
Elles peuvent avoir lieu dans des territoires naturels mais aussi dans les villes comme en Turquie ou au Brésil, la défense de l’environnement – parc ou autre – se conjuguant avec la défense des services public comme les transports ou plus généralement la thématique du « droit à la ville » chère au géographe David Harvey.
En France, après les luttes victorieuses contre les gaz de schistes, ce sont les « zad » qui se sont multipliées.
Au-delà du motif de la mobilisation, ce qui frappe dans ces mouvements est le lien entre la revendication (l’arrêt du projet, le plus souvent) et la mise en avant d’un style de vie cohérent avec cette revendication.
Les zadistes de Notre-Dame-des-Landes exigent l’abandon du projet d’aéroport, mais défendent en même temps un mode de vie frugal, basé sur le partage et le refus de la société de consommation.
Alors que le mouvement ouvrier a abandonné toute vision de « contre-société » qui avait été au coeur de la construction social-démocrate puis communiste, avec ses organisations de masse mais aussi ses coopératives de production et de consommation, ses centres sociaux, etc.
C’est chez les environnementaliste que cette tentative d’articulation des deux « façons » de transformer le monde, en changer les structures mais aussi changer nos comportements, comme nous l’a appris le mouvement pédagogique et le mouvement féministe, trouve une nouvelle jeunesse.
Comprendre ces nouvelles formes de lutte est aujourd’hui essentiel pour tout acteur du mouvement social ! ●
Christophe Aguiton
(militant d’ATTAC)