L’écriture des programmes suit un cheminement de mieux en mieux connu[[ Voir la thèse de Patricia Legris : http://tel.archives-ouvertes.fr/tel-00579269 ou encore LA Fabrique Scolaire de l’Histoire, L. De Cock, E. Picard, Agone 2009.
]]. Vincent Peillon, en octobre dernier, a missionné le Conseil Supérieur des Programmes pour qu’il en supervise la réécriture.
Après une première vague de réunions pour donner une orientation globale, le CSP mandatera des groupes d’experts. Puis le temps des auditions reprendra incluant la consultation de la profession. Les programmes écrits, éventuellement amendés, seront soumis à l’avis du Conseil Supérieur
de l’éducation, dont le ministre s’est engagé à respecter l’avis.
Diffusés ensuite via les Inspecteurs Généraux aux IPR-IA et selon le principe de la pédagogie frontale et descendante ils seront présentés aux enseignants.
Les programmes scolaires sont lourds d’enjeux. On le voit actuellement à travers l’offensive de la nébuleuse constituée dans le sillage du Printemps Français. Ce qui est enseigné fait l’objet d’instrumentalisations politiques dans l’espace public, engendre rumeurs, fantasmes, soumettant les enseignants à de douloureuses pressions.
On attribue bien des pouvoirs aux contenus enseignés : affublés de vertus thaumaturgiques (l’éducation civique va fabriquer du « vivre ensemble »), ils sont également accusés d’être responsables des dérives supposées de nos sociétés en déclin (La fabrique du crétin de Brighelli) ou des carences de nos économies (« Il faut enseigner la culture de l’entrepreneuriat dès la maternelle » affirmait G. Fioraso le 5 février devant les journalistes des Echos).
**Donnons notre avis !
La fabrique des programmes doit susciter notre vigilance. Il faut exiger des procédures transparentes, des consultations faisant l’objet de comptes-rendus clairs, et la prise en compte de l’avis des acteurs de terrain.
Puis, lorsque viendra le temps de la consultation des collègues il faudra exiger du temps pour qu’ils puissent y réfléchir collectivement et réclamer la transparence et le chiffrage des remontées.
Reste la question centrale de l’écriture des programmes dans la forme et le fond. Plutôt que de concevoir des empilements disciplinaires, il est nécessaire de les penser globalement.
Cela implique de réfléchir à leur progressivité en termes de contenus et d’apprentissages de la maternelle au lycée. Un premier obstacle apparaît : le lycée est pour l’instant exclu de la commande. Il doit être intégré au processus de réécriture de façon à ne pas entériner la fin précoce de la scolarité à l’issue de la 3° et de porter notre mandat d’une scolarité obligatoire jusqu’à 18 ans.
Les articulations doivent être réfléchies horizontalement, entre disciplines, en respectant les qualifications des professeurs. Il faut réussir le pari de conserver la « saveur des savoirs »[[CF « La saveur des savoirs » JP Astolfi]] en leur donnant une intelligibilité globale aux enseignants et aux élèves.
**Combattre le tri social !
L’écriture est soumise au socle commun rénové qui en définira le cadre général. Le terme de curriculum est sur toutes les lèvres, sans qu’une définition commune n’en ait été posée.
Il faudra obtenir une clarification préalable car l’ancienne mouture du socle relevait déjà d’une tentative d’écriture curriculaire. Si nous récusons le socle, il faut étudier ce qu’apportera cette réécriture.
S’agira-t-il d’une écriture de programmes accessible à tous et correspondant à ce que font réellement les élèves[[C’est ce qui se rapproche de ce qu’on qualifie de curriculum réel.]], ou d’une rédaction plus jargonante définissant un idéal à atteindre qui peut donner l’impression d’être plus ambitieuse ?
L’écriture des programmes doit s’émanciper des injonctions émises par les différents groupes de pression pour éviter un empilement indigeste et disparate de « choses » à enseigner. En ce sens, débarrasser les enseignants des différentes « éducations à… » qui chargent leurs missions, les soumettent à la vindicte des mécontents serait appréciable.
Il faudra aussi parvenir à un difficile équilibre entre la liberté pédagogique offerte aux enseignants, la nécessité de sortir des implicites[[On parle alors de curriculum caché. ]], la part d’autonomie laissée aux établissements et le maintien d’un cadre national, garantie d’équité entre les élèves et les territoires.
On le voit, la mission du CSP est périlleuse. A nous d’être attentifs et mobilisés sur ces enjeux sans perdre de vue qu’en aval la question de la formation initiale et continue reste déterminante.●
Véronique Servat