À Bayonne, des milliers
de personnes se sont retrouvés
les 5 et 6 octobre pour la plus grande mobilisation climatique depuis le sommet de Copenhague avec des centaines d’initiatives citoyennes et d’alternatives concrètes, dans une ambiance festive permanente…
Tout ce que la France compte de réseaux concernés s’était retrouvé à la rencontre Alternatiba, organisée par l’association basque Bizi ! « association écologique et sociale ».
Le fiasco du sommet de Copenhague en décembre 2009 avait laissé place à une forme de résignation climatique.
Quid des grands agendas internationaux inscrivant solennellement la lutte contre le réchauffement en tête des priorités gouvernementales ? Que sont devenus les collectifs planétaires sonnant le tocsin des émissions de CO2 ?
Pour sauver le climat, « il est minuit moins cinq » affirmait récemment le président du GIEC, (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat).
En fonction des scénarios de développement, les modèles climatiques prévoient une élévation de température comprise entre 0,3 °C et 4,8 °C pour la période 2081-2100, par rapport à la période 1986-2005.
Seul le scénario le plus sobre – et aussi le plus improbable, puisque la diminution des émissions de CO2 est trop faible – a une probabilité supérieure à 50 % d’éviter de dépasser le seuil de 2°C au-dessus des températures préindustrielles.
Neiges et glaces de toutes sortes se rétractent rapidement. La banquise arctique estivale a perdu en surface entre 9,4 % et 13,6 % depuis 1979. Les experts n’excluent pas qu’elle ait totalement disparu au milieu du siècle, dans le cas du scénario le plus noir.
En fonction des émissions futures, la mer pourrait être plus haute de 26 à 82 cm dans la période 2081-2100 par rapport à 1986-2005.
Mais dans le scénario le plus grave, les experts donnent comme fourchette haute le chiffre de 98 cm d’élévation moyenne. Tout cela avec des conséquences en termes de sécheresses, désertification, modifications des saisons, inondations, ouragans, typhons, feux de forêts, fonte des glaciers et de la banquise. Le monde connaît déjà l’augmentation des phénomènes météorologiques violents et autres catastrophes naturelles.
Les conclusions sont sans équivoques et tracent 2 pistes : l’adaptation et la réduction. Mais, concernant l’adaptation, la question de la géo-ingénierie par absorption du CO2 atmosphérique (citée dans le rapport du GIEC) est très contreversée : ces technologies pourraient extraire le CO2 de l’air pour le stocker dans le sous-sol, l’océan ou la biomasse.
**Bayonne, village
des alternatives
Alternatiba fut non seulement un moment de débats, avec des dizaines de conférences, d’ateliers, mais aussi un vrai village à caractère festif et militant.
Cet événement a démontré que les expériences et la palette des alternatives sont vastes, les échelles d’action variées : l’agriculture paysanne, la relocalisation de l’économie, la sobriété énergétique, l’éco-habitat, le recyclage des déchets, l’alimentation, les transports, le microcrédit, la question de la souveraineté alimentaire, de la protection de l’eau par le prisme du surf, le bio en collectivité, la réforme des retraites au regard de l’environnement, les monnaies locales (l’eusko, devise lancée au Pays basque), le jardinage, la réparation de vélos, la « cuisine de poissons peu connus mais bon marché et abondants », la fabrication d’une bière locale…
Comme l’indique justement le communiqué d’ATTAC : « Alors que les dérèglements climatiques s’aggravent, des milliers d’associations, de collectivités locales, d’individus inventent, expérimentent un large éventail d’alternatives concrètes, qui entament une bifurcation et donnent à voir ce que pourrait être la transition écologique et sociale dont nous avons besoin.
Ces alternatives rendent visibles des activités créatrices d’emplois, un sens du travail retrouvé, une inventivité pour aller vers des sociétés conviviales, justes, solidaires et réconciliées avec la nature.
Loin d’être dérisoires ou secondaires, ces initiatives mettent en œuvre concrètement des points de rupture avec un modèle qui mène dans le mur. Elles opposent à l’inertie politique leur détermination à affronter concrètement les intérêts des lobbies et des transnationales qui ont décidé de ne rien changer. »
**Et le mouvement syndical ?
Si les organisations qui œuvrent dans le champ de l’écologie, de l’économie sociale et solidaire, de l’agriculture paysanne ainsi qu’ ATTAC étaient là, les organisations syndicales étaient très faiblement représentées.
En dehors de Solidaires, de la Confédération paysanne, d’ELA (syndicat basque affilié à la CES) et du LAB (syndicat lié au mouvement abertzale) qui avaient des stands et plusieurs militants, pas grand chose.
Quelques militant-es de la FSU (qui avait signé l’appel assez tardivement) ont participé. À noter que la CGT n’était pas signataire.
Les enjeux environnementaux traversent désormais largement les organisations syndicales et le climato-septicisme semble ne plus exister dans leurs rangs. Mais, pour autant, l’engagement dans cette lutte n’est pas encore à la hauteur.
Plusieurs raisons peuvent expliquer cette faiblesse. L’articulation et la convergence entre la question sociale et environnementale sont encore à travailler, à construire, même si lors des débats à Bayonne, cet objectif était très présent.
Comme lors de la conférence « Face à la crise sociale et écologique, quels changements dans l’économie et la société ? » ou encore avec les débats sur les retraites, les emplois de la transition énergétiques, la crise économique et sociale… Et, comme l’a rappelé Hervé Kempft, la crise écologique et la crise sociale sont les deux facettes d’un même problème.
A ce sujet, des débats existent : l’articulation entre la création d’emplois et l’amélioration des conditions « matérielles » de vie, d’un côté et la réduction de la pollution et de la production de CO2 de l’autre, est-elle possible ?
Des points de vue divers, voire opposés, sur les alternatives continuent de se confronter. La question du nucléaire bien sûr, mais aussi d’autres points récurrents dans la plupart des ateliers et conférences : décroissance/anti-productivisme versus croissance « juste », le protectionnisme comme défense, le revenu de base/d’existence, etc.
Existe-t-il aujourd’hui encore dans le mouvement syndical cette foi dans la science et la technologie qui est astucieusement exploitée et entretenue par le système capitaliste ?
Il y a aussi un débat d’ordre stratégique – et culturel — sur la construction de la mobilisation. Répondre à la sidération et à l’impuissance passe par des voies diverses. Nous sommes peu familiers du travail de construction d’alternatives concrètes, de pratiques d’expérimentations qui, de plus, touchent à des choix de vie de chacun-e, même si historiquement le mouvement ouvrier avec les bourses du travail avait ouvert la voie à ces pratiques.
**Changer ici et maintenant
pour changer le monde
A Bayonne, étaient fortement représentées toutes les formes de changement qui peuvent se mettre en place ici et maintenant au niveau du citoyen-ne, du consommateur-trice, des territoires locaux…
L’alternative globale certes, mais pour certain-es, c’est hors de portée dans le contexte actuel. D’où la volonté de construire la mobilisation de chacun-ne pour des alternatives concrètes à mettre en pratique aujourd’hui, la volonté d’expérimenter ces alternatives qui redonnent aux citoyen-nes leur pouvoir d’agir : se changer pour changer le monde.
Mais, incontestablement, il y a un risque à ne mettre en avant que cette voie (au nom de l’optimisme, du réel…) et abandonner la nécessité d’une rupture radicale et globale avec ce système, sans laquelle ses expérimentations, ses initiatives peuvent conduire à une dépolitisation de la lutte et à l’évitement de la confrontation, du conflit global pourtant indispensable.
Peut-on penser que la construction du rapport de force nécessaire peut émerger de ces deux approches ? C’est en tout cas cette convergence que les organisateurs d’Alternatiba ont voulu construire et mettre en œuvre et on peut dire qu’il y a eu un pas en avant dans ce sens.
« Changer le système, pas le climat » clamaient les pancartes lors du rassemblement conclusif.
**Mobiliser lors du COP21 à Paris en 2015
Avec l’appel final, la préoccupation de tous-tes les participant-es à Alternatiba, est donc de s’atteler dès maintenant à la construction d’une mobilisation sociale, citoyenne face au défi climatique.
Alternatiba a contribué aux premiers pas de cette dynamique. La déclaration finale invite l’ensemble des organisations de la société civile et chacun-e d’entre nous, à se saisir de la réussite d’Alternatiba pour organiser d’ici 2015 d’autres villages des alternatives au changement climatique et à la crise sociale et écologique : « Créér 10, 100, 1000 Alternatiba en Europe »
Dans un contexte difficile d’offensives antisociales, de montée de la xénophobie et du racisme, il n’est pas évident de faire émerger un vrai mouvement sur le défi climatique.
Mais parce que nous sommes convaincu-es de la convergence au plan théorique (antiproductivisme et anticapitalisme) comme dans les préoccupations concrètes des mouvements sociaux confrontés à cette crise globale, il faut s’y atteler…d’urgence. ●
Sophie Zafari