Entretien avec Fred Grimaud – AESH – un vrai métier

* Fred Grimaud, professeur des écoles et chercheur, a mené une enquête de terrain auprès des accompagnantes d’élèves en situation de handicap (AESH) sur leur métier et leurs conditions de travail. Les résultats sont regroupés dans le livre AESH, un vrai métier (Éd.Syllepse)

Pourquoi un chantier travail sur les AESH ?

La commande vient de la FSU-SNUipp. Il s’agit de comprendre et transformer le travail des professionnel·les des écoles. Nous avons déjà mené des chantiers sur la direction d’école, le travail hors la classe ou encore l’activité en période de Covid. Cette fois, à l’initiative du SNUipp13, il s’agissait d’orienter aussi la réflexion syndicale vers les AESH, un corps en forte croissance numérique… et de syndicalisation. Nous vivons un moment historique : un métier se constitue sous nos yeux et notre recherche a voulu mettre la focale dessus. Notre champ, l’analyse de l’activité de travail, s’y prête en ce qu’il permet d’entrer par le réel du travail, ses prescriptions, ses ruses, ses empêchements, et sans idées préconçues. Nous avons conduit notre recherche avec ce cadre théorique et méthodologique, sans hypothèse à valider. Nul ne savait ce qui émergerait de ce chantier travail.

Qu’est-ce qui a émergé ?

J’ai d’abord cherché à identifier ce que les ergonomes appellent la plainte, ce moment où des travailleuses nomment ce qui les empêche de faire du bon travail. Le syndicat est déjà un relais puissant de ces plaintes : manque de formation qualifiante, salaires bas, précarité des carrières. Mais en nous plaçant au niveau du travail réel, c’est la question de la place des AESH dans leurs établissements qui s’est imposée. Le cœur du problème ne relevait pas seulement de politiques publiques mais d’une organisation locale du travail. Où s’assoit-on ? À quelles réunions participe-t-on ? Qui prescrit quoi ? Très vite, la plainte s’est transformée en demande, celle de trouver pleinement sa place au sein de l’établissement.

Quelle a été la demande précise du terrain ?

Au départ, elle était timide, en creux dans nos entretiens. Nous avons alors lancé un questionnaire (2 600 réponses) qui a mis au jour une contradiction très forte. Côté subjectif, les AESH se disent intégrées et décrivent de bonnes relations avec les équipes. Mais côté organisation matérielle, elles sont souvent mises à l’écart, physiquement et symboliquement : pas de chaise dans certaines salles, pas de casier, pas d’invitation aux équipes de suivi de scolarité (ESS) ni aux conseils… Cette tension entre intégration déclarée et exclusion concrète a structuré notre travail et débouché sur une action syndicale très locale, directement issue de la recherche, visant à transformer le milieu de travail.

Peux-tu nous parler de cette action ?

Souvent, dans les entretiens, les AESH parlaient de la salle où se réunissent les adultes. Dans l’immense majorité des écoles, on la nomme « salle des maîtres ». Parfois, l’intitulé est féminisé, mais l’effet d’exclusion symbolique demeure lorsqu’on s’adresse aux enseignant·es uniquement. L’idée a alors été de renommer cet espace en « salle du personnel ». Concrètement, avec l’appui du syndicat, des AESH ont rédigé des panneaux à afficher, écrit à leurs collègues du département, proposé au conseil d’école d’acter le changement. Beaucoup d’écoles ont renommé leur salle. Encore à cette rentrée, je reçois des photos de « salle du personnel » et des messages d’AESH qui ont fait inscrire ce point à l’ordre du jour des conseils. On pourrait croire à une action symbolique mineure mais en réalité, elle s’inscrit pleinement dans la perspective ergonomique visant à permettre aux salarié·es de modifier leur milieu de travail, de retrouver du pouvoir d’agir, de faire histoire dans leur métier. Cette prise sur l’environnement de travail soutient la fierté professionnelle de celles et ceux qui créent, qui inventent, et qui agissent concrètement pour changer une situation.

Au-delà de cette transformation, votre recherche met-elle au jour des traits saillants du travail des AESH ?

Oui, outre le versant transformateur, notre démarche a une dimension heuristique. À partir d’entretiens en « instruction au sosie » et de photographies adressées, nous avons objectivé cinq traits du travail des AESH :

  • Un environnement non sécure. C’est un métier où l’on peut se blesser, où le corps et la santé sont engagés. Cela pose de front la question des conditions de travail, ce qui n’étonnera pas les syndicalistes à l’origine de la commande.
  • Un flou de prescription. Le verbe « accompagner » est généreux mais peu opératoire. Il ouvre une grande autonomie procédurale, souvent précieuse, mais peut générer aussi un inconfort professionnel. Comment savoir si l’on a bien travaillé quand la tâche est définie si largement et que les critères de qualité restent implicites ?
  • Une verticalité défaillante. Les chaînes de prescription sont multiples et floues : « dans mon école, tout le monde est mon chef » résume une AESH. Elles ignorent souvent l’origine d’une consigne : enseignant·e, direction, tête de pôle inclusif d’accompagnement localisé (Pial)1 , inspecteur·trice de l’Éducation nationale (IEN)…1, ce qui brouille les priorités et désoriente l’action.
  • Des outils manquants. Des gants d’hygiène aux renforçateurs1 pour les élèves, rien n’est prévu par l’institution. C’est comme si un ouvrier devait venir avec son propre casque et son marteaupiqueur sur le chantier. La débrouille devient la norme, générant épuisement professionnel et sentiment d’injustice.
  • Un travail nécessairement collectif. L’AESH n’est jamais seul·e en classe, il lui faut co-organiser son activité avec ses pairs, les agentes territoriales spécialisées des écoles maternelles (Atsem), les enseignant·es… Or travailler à plusieurs est un travail en soi qui demeure un véritable impensé de leur institution.

Il y en a sans doute d’autres, mais ces cinq points ont structuré nos analyses et nos échanges avec le terrain.

Et cela peut se transformer en revendications syndicales ?

Oui, c’est même un objectif du chantier d’outiller le syndicat à partir de l’activité réelle. Les AESH participantes ont fait émerger quelques axes qui pourraient être convertis en revendications :

  • reconnaissance statutaire. Pour desserrer la tension entre fierté du travail bien fait et maltraitance institutionnelle, il faut un statut juste, clair, protecteur. C’est le premier levier de sécurisation pour elles.
  • Liberté d’agir garantie. Préserver l’ingéniosité de terrain sans institutionnaliser la débrouille. Autrement dit, revendiquer des conditions qui permettent de faire du bon travail sans bricolage permanent et sans risque de taylorisation.
  • Pénibilité spécifique nommée. Ni seulement physique ni seulement mentale, les AESH souffrent d’une pénibilité émotionnelle liée à leur cœur de métier, à leur proximité avec les élèves en situation de handicap qui doit être reconnue.
  • Expérience subjective à prendre en compte. Il conviendrait de partir de ce que vivent les AESH pour revendiquer de meilleures conditions d’emploi (statut, salaire, formation, mobilité) et de meilleures conditions matérielles (bâti scolaire, fournitures, protections), tout en leur garantissant une véritable place dans l’établissement (instances, informations, décisions).
    • Le dernier point serait alors d’ouvrir une réflexion sur ce métier.

Parce qu’au final, AESH, c’est un métier ?

C’est un métier en construction. Il n’est pas si neuf qu’on le dit et peut s’appuyer sur la longue histoire des métiers du soin aux plus fragiles et sur celle de la prise en charge des élèves en situation de handicap dans les écoles, des classes de perfectionnement (1909) aux établissements et services sociaux et médico-sociaux (ESMS − 2024). Participer à la création d’un référentiel métier, c’est contribuer à l’élaboration collective d’un genre professionnel, à l’intégration de normes et aux débats de valeurs qui les sous-tendent.

C’est une formidable occasion de faire histoire et un syndicat y a naturellement toute sa place, non seulement pour reconnaître ce travail, pour protéger celles et ceux qui l’exercent, mais aussi pour participer à stabiliser les règles du bon travail et à ouvrir des espaces où les controverses professionnelles peuvent se mener. ■

PROPOS RECUEILLIS PAR ADRIEN MARTINEZ

  1. Les Pial gèrent les emplois du temps des AESH.
  2. Il s’agit de valoriser en positif les efforts de l’enfant pour renforcer sa confiance.

LE MOT DE SHEYNESSE TAN, AESH ayant participé à la recherche.

« Participer à cette recherche, ce n’est pas qu’ouvrir la porte de nos classes, c’est ouvrir la porte de nos vies professionnelles pour laisser entrer la lumière sur ce que nous faisons vraiment. Et ce que nous faisons, ce n’est pas seulement accompagner un·e élève, c’est être attentive à ce qui se passe autour d’elle ou lui, à ses réactions, à ses besoins, même quand iel ne s’exprime pas. C’est un métier où l’on agit dans l’ombre mais dont l’impact est visible dans le sourire d’un·e élève, dans sa confiance retrouvée. C’est notre métier et même s’il ne s’apprend pas dans les livres, il vaut d’être reconnu. Nous ne voulons pas de médailles mais notre juste place dans l’école, pour que l’inclusion ne reste pas qu’un mot et que notre métier sorte de l’invisible. C’est le but de ce livre. »