A travers la caméra de Ben Lewin et son film « The Sessions », le débat est relancé sur la création d’un statut d’aidant sexuel et d’un droit à la sexualité des handicapé-es.
Première constatation, parmi les handicapé-es demandeurs de ces « services sexuels » (tous ne le sont pas), 80 % sont des hommes. Cela renvoie encore au mythe du désir masculin irrépressible, tandis que les femmes seraient du côté de l’abnégation, de la réalisation des désirs des autres.
Le « droit » à l’assistanat sexuel revendiqué par certaines associations interpelle dans ce qu’il engage une tierce personne : « on ne peut évacuer la difficile question de l’instrumentalisation, même consentie, rémunérée ou compassionnelle du corps d’une personne pour la satisfaction personnelle d’une autre. Il ne peut être considéré comme éthique qu’une société instaure volontairement des situations de sujétion même pour compenser des souffrances réelles »1.
La sexualité n’engage pas forcément de l’affectivité mais automatiquement de l’intime. Il faut donc envisager la question également du côté des aidants. « De l’autre côté des Alpes, où l’activité est légale, les assistants sexuels formés (…) et certifiés, bénéficient d’un suivi psychologique individualisé »2. La relation amoureuse est interdite. Dans « The Sessions », l’investissement affectif qui naît entraîne l’arrêt prématuré des séances. Sur le plan sexuel, les pratiques varient : « les accompagnants posent leurs limites, certains vont pratiquer la pénétration, d’autres se contenter d’un éveil à la sensualité. S’ils sont payés, c’est pour éviter toute confusion entre assistance sexuelle et relation amoureuse»3. En général, il s’agit d’une relation « au rabais » sans réelle réciprocité.
Aide rémunérée
ou prostitution ?
« Avoir une formation, c’est important, notamment pour les handicapés mentaux, mais il ne faut pas oublier que l’assistanat sexuel, c’est de la prostitution »4. Les aidant-es sont parfois malmenés, violentés. Et même s’il existait une nuance juridique, qu’est-ce qui les mettrait à l’abri des ravages physiques et psychiques dont souffrent 95 % des prostitué-es ? Les conséquences d’actes sexuels subis et/ou consentis sont destructrices : psychisme morcelé, étrangeté à soi-même, troubles de la relation à l’autre, libido annihilée5… Alors, faut-il décréter le droit à la sexualité des uns au risque d’en priver les autres ?
La sexualité, un droit ?
Et si cela relevait d’une fausse évidence ? Pour Maudy Piot6, l’accès à la sexualité ne doit pas passer par la marchandisation des corps. « Il n’y a pas de droit à la sexualité. Pourquoi, à ce moment-là, les prisonniers, les gros, les maigres, les moches n’y auraient pas droit ? (…) l’assistance sexuelle ne ferait que renforcer la ghettoïsation des personnes en situation de handicap ».
Définir ce droit impliquerait symétriquement de légitimer le « devoir sexuel ». C’est aussi assimiler la sexualité à un objet de consommation. Peut-elle se concevoir autrement que libre et gratuite, fondée sur un désir partagé, et donc libérée du marché ?
Pour quelle sexualité ?
Le CCNE ne souhaite discerner « quelque devoir et obligation de la part de la collectivité ou des individus en dehors de la facilitation des rencontres et de la vie sociale ». Certain-es évoquent la piste du bénévolat, dans un cadre associatif.
Ce qu’il faut revendiquer, c’est le droit de toute personne à des relations sexuelles et affectives entières et épanouissantes.
« Nous voulons que les personnes handicapées puissent sortir de chez elles, de leurs institutions, pour aller vers des lieux rendus accessibles, accessibles notamment aux rencontres, y compris aux rencontres amoureuses (restaurants, cinémas, boîtes de nuit, voyages etc.). Faire venir à domicile ou en institution des « aidants », à heure fixe et rémunérés est la négation de ce mouvement qui veut aller vers l’extérieur»7. ●
Ingrid Darroman, Cécile Ropiteaux
1) Avis n° 118 du CCNE : Comité Consultatif National d’Éthique pour les Sciences de la Vie et de la Santé.
2) Sexe : le vœu pieu des handicapés. Libération,
7 mars 2013.
3) Julia Tabath, de CH(s)OSE.
4) Marianne Chargois, ex-assistante sexuelle, Libération, 7 mars 2013.
5) Voir le film Not for sale.
6) Fondatrice du collectif Handicap, Sexualité, Dignité et présidente de l’association
Femmes pour le dire, femmes pour agir.
7) L’aidant sexuel selon une femme handicapée – Maudy PIOT – Libération, 24 mai 2011 .