PAR JULIEN RIVOIRE
La mobilisation contre la loi Duplomb contre laquelle une pétition a rassemblé des millions de signatures est la bonne nouvelle de l’été. La mobilisation a été possible grâce au travail patient de dizaines d’associations pendant des mois. Elle montre également l’importance de l’écologie pour une grande partie des citoyen·es.
Parmi les événements marquants de l’été, la mobilisation contre la loi Duplomb s’impose comme une bonne nouvelle dans un climat politique trop morose, notamment sur les questions écologiques. Partie d’une pétition en ligne, elle a rassemblé en quelques semaines plus de deux millions de signataires, un record absolu pour une initiative déposée sur le site de l’Assemblée nationale, pourtant contraignante à signer puisqu’elle nécessite un compte FranceConnect. Rarement une pétition a suscité un tel engouement, dans ces premières semaines d’été, à une période traditionnellement peu propice à la mobilisation.
La loi Duplomb porte en elle de nombreuses régressions écologiques : rétablissement de l’usage des néonicotinoïdes malgré leur caractère écocide, facilitation de la construction de mégabassines et de bâtiments d’élevage industriel, allègement des critères de protection des zones humides et possibilité donnée de cumuler conseil et vente des pesticides. Le texte franchit plusieurs lignes rouges pour la santé publique, la biodiversité et la démocratie sanitaire. Si le Conseil constitutionnel a censuré le retour de l’acétamipride, l’essentiel demeure, et la contestation reste donc d’actualité.
Une mobilisation qui ne doit rien au hasard
Le succès de la pétition a parfois été présenté comme un surgissement inattendu, porté par la personnalité d’une étudiante qui a su incarner le refus de ce texte. Si son rôle a été réel et positif, il ne doit pas occulter le patient travail mené depuis des mois par des organisations militantes. Dès janvier, associations écologistes, Confédération paysanne et syndicats (notamment le Snetap-FSU) se sont engagés dans une campagne d’alerte. Le collectif Nourrir1, regroupement de quelques dizaines d’organisations qui ont pris l’habitude de travailler ensemble depuis plusieurs années, a été le cadre « naturel » dans lequel s’est tissé le travail de mobilisation. Et si le 5 avril la mobilisation était confidentielle, le 30 juin, ce sont plus de 10 000 citoyennes et citoyens qui se sont mobilisé·es dans plus de soixante villes. Dans la foulée, plus de 100 rassemblements ont eu lieu sur l’ensemble du territoire début juillet. Preuve qu’un travail patient de mobilisation peut, dans certaines conditions, préparer le terrain à l’explosion de signatures lorsque la pétition est devenue virale.
L’hétérogénéité des acteur-ices engagé-es a également été déterminante. Aux structures syndicales et environnementales se sont agrégées des médecins, des chercheures, des associations de victimes, ainsi que des influenceures du mouvement On est prêt. Les prises de position de sociétés savantes, du CNRS ou encore de la Ligue contre le cancer ont contribué à légitimer la contestation et à inscrire le sujet à l’agenda médiatique. Cette diversité a élargi la mobilisation au-delà du cercle des « convaincu·es », démontrant la puissance des alliances transversales.
L’un des enseignements majeurs de cet épisode est de rappeler que le supposébacklashécologique, agité par certains médias et responsables politiques de droite et d’extrême droite, ne correspond pas à une dynamique profonde de la société. Le discours médiatique sur une prétendue lassitude écologique peut cependant avoir un effet performatif à moyen terme. Il est donc essentiel de le déconstruire pour qu’il n’agisse pas comme une prophétie autoréalisatrice. Mais à ce stade, les enquêtes d’opinion montrent que les préoccupations environnementales demeurent fortes dans toutes les catégories de population, avec des variations selon le niveau de diplôme ou l’orientation politique, mais sans effondrement général de l’adhésion2. La pétition contre la loi Duplomb en apporte une preuve éclatante : lorsque les enjeux écologiques sont reliés à des préoccupations concrètes – ici, la santé publique et les conditions de vie – la mobilisation peut être massive. Santé et environnement forment un levier particulièrement puissant pour élargir le spectre des personnes prêtes à s’engager.
Les réseaux sociaux ont joué un rôle majeur dans la viralité de la pétition, permettant de dépasser les cercles militants traditionnels. Mais réduire cette réussite à un simple « coup de génie » numérique serait trompeur. Sans le travail en amont des organisations, sans les relais de chercheur·es, médecins et syndicats, la dynamique n’aurait pas eu la même ampleur. La leçon est claire : il ne suffit pas d’attendre la pétition miracle, il faut investir dans la construction d’organisations stables, capables d’assurer un travail de terrain et de maintenir des mobilisations même lorsqu’elles restent minoritaires ou invisibles.
Enseignements pour l’action syndicale et sociale
Cette séquence offre des pistes transposables au champ syndical et associatif sur d’autres sujets. La première est la centralité du travail patient et collectif : la mise en mouvement ne découle pas d’une solution technique ou d’une étincelle isolée, mais d’alliances entre acteur·ices hétérogènes, capables d’apporter à la fois légitimité et force militante. Dans l’éducation par exemple, cela signifie pour les syndicats de renforcer le travail avec les parents d’élèves, les mouvements d’éducation populaire, les élu·es locaux·ales, afin de donner corps aux revendications.
Le second enseignement est que les questions écologiques, loin d’être marginales, peuvent être un point d’entrée vers un engagement plus large, à condition de les articuler à des enjeux de santé et de conditions de travail. La campagne menée avec Greenpeace dans le cadre de l’alliance écologique et sociale (AES, voir article p.4-5) sur la rénovation du bâti scolaire illustre cette approche : elle relie climat, amélioration des conditions d’apprentissage et protection de la santé des personnels.
Enfin, cette mobilisation rappelle l’urgence de la bifurcation écologique, rendue encore plus palpable par les épisodes caniculaires et les incendies de l’été. L’écologie n’est pas un supplément d’âme, mais une dimension incontournable des luttes sociales et syndicales. Elle doit irriguer la réflexion sur les budgets, les politiques éducatives ou agricoles, et contribuer à la construction de cadres unitaires larges.
Et maintenant ?
Reste la question de la suite. La pétition, si massive soit-elle, ne suffira pas à elle seule à faire reculer l’agro-industrie tout comme elle n’a pas empêché la promulgation de la loi. Mais elle marque un tournant : elle a mis en difficulté les député·es qui ont voté le texte, embarrassé la FNSEA, et démontré que nos mouvements peuvent encore imposer leurs thèmes à l’agenda politique.
Ce succès est une invitation à transformer l’indignation en organisation durable, à faire fructifier les alliances, et à élargir le front de l’écologie sociale. Les manifestations du 28 septembre prochain pour le climat et la justice sociale doivent être l’occasion de faire entendre le refus de ce modèle destructeur de la biodiversité et de notre santé. La loi Duplomb voulait tourner la page de décennies de progrès environnementaux ; la mobilisation qu’elle a suscitée pourrait, au contraire, ouvrir un nouveau chapitre des luttes écologiques et sociales.
NOTE :
- https://collectifnourrir.fr/
- https://www.parlonsclimat.org/pivot-majoritaire