Génocide en Palestine – que fait la France ?

PAR ANTOINE VIGOT

Des bombardements au Liban, en Syrie, au Yémen à la « guerre de 12 jours » contre l’Iran de juin 2025, l’État d’Israël, appuyé par les États-Unis de Trump, impose son hégémonie militaire au Moyen-Orient et poursuit sa guerre génocidaire à Gaza. L’ONU y a officiellement déclaré l’état de famine. La nouvelle offensive terrestre israélienne vise ouvertement un nettoyage ethnique et une recolonisation du territoire gazaoui. L’installation continue de nouvelles colonies et le morcellement de la Cisjordanie témoignent de la détermination du gouvernement suprémaciste de Tel Aviv à avancer vers la création d’un « Grand Israël ».

Emmanuel Macron a annoncé l’engagement de l’État français à reconnaître un État de Palestine lors de l’Assemblée générale de l’ONU, en septembre. Alors que 149 États reconnaissent d’ores et déjà l’État palestinien, les initiatives diplomatiques autour d’une reconnaissance illustrent une perte de crédit du gouvernement Netanyahu et son isolement croissant au moment où le génocide à Gaza est dénoncé par de très nombreuses organisations internationales, y compris deux ONG israéliennes. Le Premier ministre israélien ne s’y est pas trompé en cherchant à intimider ses alliés traditionnels, en les accusant « d’offrir une récompense au terrorisme » et de « favoriser l’antisémitisme ». E. Macron cherche à donner l’image d’une diplomatie moins alignée sur le gouvernement israélien et à se rapprocher de l’Arabie saoudite et des pays de la région qui défendent un plan de reconstruction pour Gaza, alternatif au projet Trump/ Netanyahu. Est-ce pour autant un tournant et la fin du « deux poids, deux mesures »?

Que tout change, pour que rien ne change?

Cette reconnaissance a surtout une dimension symbolique: la diplomatie française reconnaît déjà dans les faits depuis plusieurs années l’État de Palestine, qui dispose d’une mission diplomatique et d’une ambassadrice à Paris. Elle a soutenu l’admission de la Palestine comme État observateur à l’ONU en 2014 et plus récemment a voté pour son admission comme État membre à part entière. Elle a appuyé la résolution du 18 septembre 2024, qui appelle Israël à mettre fin sous 12 mois à la colonisation et réaffirme « le droit à un État indépendant et souverain » du peuple palestinien. Elle initie un mouvement diplomatique international, avec la reconnaissance par d’autres pays dont l’Australie et la Canada.

Pour autant, les positions de la diplomatie française restent déséquilibrées : l’exigence de cessez-le-feu, assortie de l’indispensable libération des otages détenu-es par les factions palestiniennes à Gaza, évacue la question des 10 800 détenu·es administratifs et politiques palestinien·nes dans les prisons israéliennes (en août 2025). À aucun moment le chef de l’État ne fait mention explicitement de ce que seraient les frontières du futur État. Si l’on peut penser que l’annonce s’inscrit dans le cadre de référence traditionnel du droit international, à savoir les frontières de 1967, élément accepté par une grande partie des acteurs politiques palestiniens, de l’OLP au Hamas (en 2008 puis en 2017), celui-ci n’est pas mentionné, ni dans la lettre envoyée à M. Abbas ni dans celle adressée à Netanyahu. Une telle absence de référence explicite à des frontières garanties par le droit n’est pas neutre, alors que le 23 juillet, la Knesset, le parlement israélien, a voté par 71 voix contre 12 un texte transpartisan appelant à « retirer de l’ordre du jour tout projet d’État palestinien » et, à affirmer « la souveraineté en Judée-Samarie » [Cisjordanie] et que colonisation et violences s’y poursuivent.

Une souveraineté palestinienne limitée

Dans sa déclaration, la diplomatie française insiste sur l’acceptation par les Palestinien·nes de la « démilitarisation » de leur futur État, au nom de la sécurité d’Israël. Imagine-t-on que le gouvernement français exige la réciproque d’un État israélien, dont le bellicisme des derniers mois a pourtant porté atteinte à la sécurité de bien des civil·es au Moyen-Orient? Le droit à la défense est un élément essentiel de la souveraineté des États, ici garantie par la résolution 3236 adoptée par l’Assemblée générale de l’ONU le 22 novembre 1974, qui traite du «droit inaliénable » du peuple palestinien à l’autodétermination.

Cette évocation d’une souveraineté restreinte témoigne alors d’un paradigme colonial dans le traitement des Palestinien·nes, considéré·es comme des subalternes, niant la situation coloniale et le droit internationalement reconnu aux peuples colonisés de lutter contre cette oppression. E. Macron énonce également des conditions politiques, négociées avec l’administration palestinienne de M. Abbas, qui remettent en cause la présence politique du Hamas dans le futur jeu politique palestinien. Par delà l’appréciation politique portée sur ce mouvement et son éventuelle résilience, c’est une ingérence notable qui ne prend pas en compte l’établissement d’une solution politique pacifiée au sein de la société palestinienne, le « jour d’après ».

Attentisme et complicité

En plus de ces déséquilibres, la politique française reste marquée concrètement par un attentisme permanent vis-à-vis de l’État israélien, qui a poursuivi querre et blocus après la décision de la Cour internationale de justice de janvier 2024, lui intimant de « prévenir un risque de génocide ». Par son inaction, la France contrevient à ses obligations de membre de la Convention de 1948 sur le génocide. Elle a refusé d’appliquer les mandats de la Cour pénale internationale concernant B. Netanyahu en le laissant emprunter à plusieurs reprises son espace aérien. Elle n’a pris aucune sanction diplomatique ou économique contre Israël. Plus grave, elle a continué à entretenir des liens avec des acteurs liés à la mise en œuvre du génocide : elle a maintenu des livraisons militaires, comme l’a montré le refus des dockers marseillais de charger des pièces détachées pour fusilsmitrailleurs à destination d’Israël en juin 2025, et poursuit des coopérations scientifiques et techniques avec des acteurs militaires israéliens. Ainsi, le média disclose a révélé un programme européen d’armement de drones, baptisé Actus. Il a reçu 42 millions d’euros d’argent public, dont une partie bénéficie à une société israélienne, IAI, qui joue un rôle clé dans le programme de drones israéliens1.

Trente et un ans après le Rwanda, la question d’une complicité française avec un génocide se pose donc à nouveau. Des mesures concrètes sont inlassablement réclamées par les organisations associatives syndicales et politiques qui mobilisent pour la solidarité avec le peuple palestinien en France comme en Europe. Alors qu’une flottille internationale doit tenter, courant septembre, de percer le blocus imposé à Gaza, plus que jamais, le syndicalisme doit contribuer à la mobilisation pour exiger des sanctions et le boycott de l’État d’Israël, et que l’UE et la France interviennent pour la protection de la population palestinienne. C’est à cette condition que la reconnaissance de la Palestine ne sera pas un simple paravent à l’effacement israélien de la question palestinienne.

  1. https://disclose.ngo/fr/article/la-france-et-leurope-financent-sans-le-dire-lindustrie-militaire-israelienne