Sommes-nous tou·tes grossophobes?

PAR AUDREY OUALID

Ne pas déranger, ne pas parler ou rire trop fort, se faire toute petite, ne pas se faire remarquer, ne pas prendre trop de place… voilà le comportement encore attendu des femmes par la société. Alors quand le corps des femmes est gros, prend de la place, on se charge de leur faire comprendre que c’est un problème. Un problème pour qui ? Pourquoi ? Un problème aui s’appelle « arossophobie ».

Les corps des femmes doivent être sous contrôle, des corps ultra-normés, à l’image de ceux, souvent retouchés, exposés sur les réseaux sociaux, dans les magazines, sur les affiches publicitaires, mais aussi celui des actrices, des chanteuses… des corps conformes aux injonctions entendues depuis l’enfance. Peur de grossir, volonté de correspondre à des canons de beauté, conditionnement culturel, sommes-nous tou·tes grossophobes? Avons-nous tou·tes intériorisé, malgré nous, une grossophobie à l’égard de notre propre corps et de celui des autres? Pourquoi, dans l’imaginaire collectif, être gros-se apparaît comme le signe d’un manque de volonté, d’une paresse, d’une négligence vis-à-vis de soi-même ? Qu’est-ce qui explique que les personnes grosses soient discriminées à l’embauche ou connaissent des écarts de salaire?

L’association Gras politique donne sur son site Internet¹ la définition suivante : « La grossophobie est l’ensemble des discriminations vécues par les personnes grosses en raison de leur apparence physique. Elle s’exprime dans tous les domaines de la vie : familial, intime, santé, professionnel, social. » La grossophobie, comme le racisme ou le validisme, est une construction sociale dont les discriminations parsèment le quotidien : dimensions des fauteuils dans les transports ou les salles de spectacle, taille des vêtements dans les commerces, tourniquets du métro, certains escaliers dans les lieux publics, poids maximum des balances… sans parler des réflexions ou insultes subies. Des efforts considérables sont à faire du côté des personnels de santé qui, pour certain·es, réduisent les problèmes rencontrés à des questions de poids. La violence de certaines paroles conduit des personnes grosses à ne plus consulter de peur d’essuyer de nouveau des propos humiliants, infantilisants voire destructeurs. Les témoignages abondent sur Internet pour rendre compte des discriminations vécues lors de consultations médicales, comme par exemple : « Lors d’une hospitalisation suite à une découverte de diabète, ce « médecin » m’a harcelée plusieurs fois par jour pendant plusieurs jours pour que je prenne une contraception après avoir découvert que je n’en avais pas et que j’avais un projet bébé. La raison : « une personne aussi grosse et avec si peu de respect pour son corps ne doit pas avoir d’enfant ». Quelques semaines plus tard, je dois contacter le diabeto/endocrino de garde car je viens d’apprendre que je suis enceinte et je dois donc modifier de toute urgence mon traitement. Je suis tombée sur elle au téléphone. Je me suis littéralement fait insulter et rabaisser : « comment pouvez-vous être enceinte en étant aussi grosse ? C’est dégoûtant et irresponsable! Des gens bien n’arrivent pas à avoir d’enfant et vous vous imaginez pouvoir être une bonne mère avec ce… corps-là? ».2

En 2020. 47 % des Français·es adultes sont considéré·es en surpoids: 36,9 % des hommes, 23,9 % des femmes. L’obésité concerne 17 % de la population adulte3, un chiffre assez équivalent chez les femmes et chez les hommes, cependant la chirurgie bariatrique est un recours employé à 82 % par des femmes4, preuve que la normativité des corps est plus forte pour les femmes et qu’elles subissent davantage la grossophobie que les hommes. La lutte contre cette discrimination se révèle donc comme un enjeu féministe. Il s’agit de cesser le contrôle des corps, d’arrêter de tout mesurer, de mettre fin à une exclusion sociale, de dénoncer les injonctions qui pèsent sur nos corps et nos esprits. La lutte contre la grossophobie s’inscrit pleinement dans les luttes féministes, dans la déconstruction des normes de genre. C’est un chantier attenant à la fois à l’éducation et à des campagnes syndicales, politiques, dont il faut se saisir.

NOTES:

  1. www.graspolitique.fr
  2. https://graspolitique.fr/ liste-non-safe/
  3. Résultats d’une étude coordonnée par des chercheurs de l’Inserm et du CHU de Montpellier consultables sur www.ameli.fr
  4. santepubliquefrance.fr