PAR ADRIEN MARTINEZ
La Convention citoyenne sur les temps de l’enfant annoncée au printemps dernier est censée trouver dans l’organisation du temps scolaire des solutions aux difficultés des élèves. Cette approche biologisante met de côté les recherches sociologiques et les inégalités de performance en fonction de l’origine sociale des enfants.
Le conseil économique social et environnemental (Cese) a été saisi par la lettre du Premier ministre du 2 mai 2025. Cette lettre enjoint la Convention citovenne sur les temps de l’enfant de répondre à la question suivante : « Comment mieux structurer les différents temps de la vie quotidienne des enfants afin qu’ils soient plus favorables à leurs apprentissages, à leur développement et à leur santé?» Mais cette lettre tranche déjà dans les références scientifiques devant être mobilisées et elle valorise des dispositifs ayant pourtant accompagné l’exacerbation des inégalités d’apprentissage. «Les avancées scientifiques en neurosciences et en pédiatrie, notamment en chronobiologie, révèlent une inadéquation entre les rythmes biologiques des enfants et l’organisation actuelle du système éducatif. »
Nous assistons, une nouvelle fois, à une requalification des questions scolaires en des termes empêchant de penser les processus inégalitaires. Sont évincées les recherches en éducation, en particulier en sociologie des apprentissages, ainsi qu’une indispensable critique des politiques éducatives menées ces dernières années. Avec le risque d’un nouveau prof-bashing et d’une externalisation d’une partie des apprentissages scolaires.
Une approche résolument biologisante
La synthèse la plus citée a été publiée en 2010 dans le Bulletin de l’Académie nationale de médecine (Yvan Touitou, Pierre Bégué – Aménagement du temps scolaire et santé de l’enfant).
Il met en avant:
- des éléments sur le rythme circadien de l’attention (pic d’attention vers 10-11 h, puis vers 15-16 h)
- l’importance d’une régularité du sommeil, impacté négativement par la coupure du week-end ou des vacances
- une fatigue de l’enfant, produit d’un excès d’activité.
Sur la base de ces faits, il conclut à un effet négatif de la semaine à 4 jours et d’une durée importante des grandes vacances. Pourtant, mise à part une recherche mettant en évidence un déficit mnésique plus marqué le lundi matin pour les enfants ayant un week-end de deux jours par rapport à celles et ceux ayant un week-end de 1,5 jour, aucune n’apporte de démonstration probante dans le contexte de la classe.
Par ailleurs, les études citées n’explorent pas sociologiquement la question, laissant dans l’ombre des différences sociales de rythme, de sommeil, d’exposition aux facteurs de fatigue… Enfin, elles n’examinent pas le rôle des différentes organisations du temps scolaire sur les inégalités de performance scolaire, et donc ne permettent pas de conclure sur une organisation des temps scolaires plus efficace contre les inégalités d’apprentissage.
Une étude américaine récente, menée dans le Montana par Tim Tharp, apporte des éléments par rapport à ces critiques. Suite à des diminutions d’investissement en éducation, une partie des districts de l’État abandonne l’organisation du temps scolaire sur 5 jours au profit d’une organisation sur 4 jours. L’étude conclut à un effet négatif du passage à 4 jours pour les élèves des milieux populaires et racisé·es. Mais il est à noter que la semaine à 4 jours qui s’est imposée est une semaine du lundi au jeudi, conduisant à un week-end de 3 jours… Ce qui est concordant avec les données précédentes, mais qui n’éclaire pas le débat en France.
La focalisation sur les rythmes n’est pas un phénomène récent. Dès les années 1970, des chronobiologistes s’invitent dans les débats scolaires, important dans l’école leur expertise construite dans d’autres domaines. Ce faisant, ils initient une reformulation du débat sur les inégalités d’apprentissage, perpétuée depuis, faisant prévaloir une causalité biologique sur les explications sociologiques. Or il en va de même pour les travaux sur les rythmes de l’enfant que pour les résultats issus des neurosciences : ils résistent mal au réel lorsqu’ils quittent le laboratoire. Car le temps (scolaire, périscolaire, familial…) est avant tout un temps social. Et donc pas le même d’une classe sociale à l’autre.
Comparaisons internationales
La France fait figure d’exception dans l’organisation de la semaine scolaire avec des écoles majoritairement à 4 jours, quand la norme est plutôt vers 5 jours. Cela conduit à ce que la France soit caractérisée par un nombre de jours de classe par an plus bas que la moyenne des pays de l’OCDE. Elle fait, par ailleurs, partie des pays ayant les grandes vacances les plus réduites tout en se situant dans la fourchette haute pour la durée totale des vacances.
Les données des évaluations Pisa permettent d’identifier un niveau de performance des élèves particulièrement inégalitaire en France, fortement marqué par l’origine sociale des élèves. Ainsi l’écart de performance entre les élèves issu·es des milieux les plus populaires et celles et ceux issu·es des milieux les plus favorisés est particulièrement important, quand d’autres pays ont des systèmes éducatifs bien plus performants dans la lutte contre les inégalités d’apprentissage.
En comparant les écarts de performance aux évaluations Pisa en fonction de l’origine sociale et de l’organisation du temps scolaire, on constate une absence totale de corrélation. Le nombre de jours de classe n’est pas prédictif d’une meilleure ou moins bonne lutte contre les inégalités scolaires. La durée totale des vacances scolaires n’est elle non plus pas liée à un système plus efficace.
L’OCDE conclut ainsi cette question : «Il n’existe pas de modèle universel pour structurer le temps d’enseignement scolaire, car les pays varient considérablement en termes de temps d’instruction obligatoire annuel, de durée des vacances scolaires et d’allocation du temps aux différentes matières.» «Contrairement aux hypothèses courantes, la durée de l’enseignement n’est pas étroitement liée aux résultats scolaires des élèves. La qualité de l’enseignement et d’autres facteurs, comme la participation des élèves à des cours particuliers et à des activités extrascolaires, jouent également un rôle déterminant dans les résultats de l’apprentissage.»
Un levier très faible et très idéologique
Agir sur les bornes des différents temps de l’enfant est un levier très faible si l’objectif est la lutte contre les inégalités d’apprentissage, car on ne s’intéresse pas à ce qui se passe dans ces différents temps. Sans rupture avec les politiques éducatives menées ces dernières années qui ont aggravé la ségrégation des acquis scolaires, et sans revenir sur l’étranglement des associations de l’éducation populaire (subissant par ailleurs une transformation de leur activité par un financement par appel d’offre), point de salut. L’objectif du gouvernement est donc autre : donner un sentiment de prise en compte des problèmes de l’école sans en traiter les causes réelles, faire oublier l’objectif inégalitaire mis en lumière par la mobilisation contre le choc des savoirs, fragiliser les revendications enseignantes, externaliser une partie des enseignements pour accentuer les inégalités d’apprentissage et faire des économies… Espérons que l’instabilité politique, ainsi que les luttes dans l’éducation permettront de mettre en avant les véritables moyens d’action pour une école égalitaire et émancipatrice.