PAR BÉNÉDICTE VIGUIER
Les discussions lancées par le ministère de l’Éducation nationale sur les déroulements de carrière des enseignant·es pourraient être positives pour la classe normale. Les projets concernant la hors-classe et la classe exceptionnelle ne font pas consensus entre les syndicats. La FSU doit se concentrer sur une revalorisation pour tou·tes.
Depuis des années, les pertes relatives de rémunération et la dégradation du niveau de vie des enseignant-es sont toujours plus fortes. En cette rentrée, le contexte austéritaire pèse lourd sur les salaires de l’ensemble des agent·es de la fonction publique, notamment ceux des enseignant·es. Conjugué aux suppressions d’emplois et à la dégradation des conditions de travail et de formation, cela aggrave une crise de recrutement déjà alarmante. En découlent davantage de précarité, mais aussi une explosion des heures supplémentaires dans le second degré et de la proportion de postes qui restent vacants, donc une dégradation des conditions d’étude des élèves et de travail des collèques… La nécessité de mettre en place des leviers puissants en faveur d’une revalorisation massive des salaires enseignants fait accord entre les organisations syndicales. Mais des divergences existent en termes de revendications et de stratégie syndicale, et le pouvoir n’est pas disposé à actionner ce levier.
Gouvernement après gouvernement, le ministère de l’Éducation nationale (MEN) fait mine d’améliorer les carrières des enseignant·es. Ce fut notamment le cas avec la création de nouveaux grades: la hors-classe en 1989, la classe exceptionnelle (CE) en 2017 (pour laquelle les modalités d’accès n’ont cessé d’évoluer). Il y a eu des mesures de bas de grille jugées positives depuis 2023, mais rien pour les milieux de carrière. S’appuyant aujourd’hui sur la crise d’attractivité du métier, le MEN a abondamment communiqué sur l’urgence et l’importance de transformer la carrière des enseignant·es.
De maigres améliorations suspendues aux arbitrages budgétaires
Des discussions se sont déroulées en 2024-2025 : cette fois de nouveaux principes d’avancement en classe normale et un nouveau cadencement des rendez-vous de carrière sont annoncés :
- pour la classe normale, l’avancement se fera au même rythme pour toutes et tous avec une déconnexion totale entre avancement d’échelon et évaluation, ce qui est positif;
- le deuxième rendez-vous de carrière sera lié au passage à la hors-classe. L’augmentation des ratios de promotion dans le premier degré se poursuivra annuellement (de 23 % en 2025 à 29 % en 2028);
- pour la classe exceptionnelle, l’accès se fera sans barème via un choix discrétionnaire des hiérarchies locales, et un nouveau rendez-vous de carrière pour les collègues promouvables sera créé en 2027 (d’ici là un ratio par corps a été publié par le ministère) pour faire barrage à l’accès à cette CE, ce qui a été contesté par l’ensemble des organisations syndicales.
Ces nouveautés ont été présentées au comité social d’administration du MEN le 6 mai pour application des mesures dès la rentrée 2025… mais les décrets ne sont toujours pas publiés! La nouvelle (et inacceptable) avalanche de mesures austéritaires annoncée en juillet par Bayrou comportait non seulement une nouvelle année de gel du point d’indice, dont la valeur régresse encore face à l’inflation, la suppression de l’indemnité de garantie individuelle du pouvoir d’achat Gipa, mais aussi la baisse des budgets des ministères (hormis celui de la Défense) et le blocage de toute mesure de revalorisation catégorielle des fonctionnaires. Ces arbitrages sur le budget 2026 avaient rendu caduques les maigres améliorations glanées lors des négociations menées en 2025. À ce jour, la chute du gouvernement Bayrou laisse la porte ouverte pour tenter de les imposer au prochain projet de budget.
Quelle position pour la FSU et ses syndicats ?
Le nouveau mode d’avancement dans la classe normale a été accueilli favorablement par la FSU. Idem pour le passage à la hors-classe, où les ratios sont identiques pour tous les corps − professeur·es des écoles (PE), certifié·es, agrégé·es, conseiller·es principales·ux d’éducation (CPE), Psy-EN, professeur·es de lycées professionnels et d’EPS), ce qui assure une égalité de traitement entre toutes et tous les collègues.
Il n’en est pas de même pour le passage à la classe exceptionnelle : les ratios différents selon les corps varient de 7,50 % pour les PsyEN ou 9 % pour les certifié·es, à 29 % pour les PE. Historiquement, cette différence de ratio d’un corps à l’autre avait été mise en place entre 2017 et 2023 pour compenser un vivier de promouvables plus réduit dans le premier degré que dans le second du fait d’une population plus jeune. Pour le Snes-FSU, l’annonce du maintien de ratios inégaux est incompréhensible car les PE prennent beaucoup trop de places comparativement aux enseignant·es du second degré : 8 439 PE pour 4 176 certifié·es ont été promu·es en 2025. La FSU-SNUipp ne partage pas cette analyse dans la mesure où la proportion du corps des PE qui est à la classe exceptionnelle n’a toujours pas, loin de là, rattrapé celle des certifié·es (9,4 % des PE sont à la CE contre 9,7 % des certifié·es). Le Snes-FSU dénonce donc un « décrochage des fins de carrières entre le premier et le second degrés »: ce décrochage est dénoncé d’autant plus vivement que si les deux premiers rendezvous de carrière ont peu de conséquences sur l’avancement, le troisième aura de fortes répercussions sur la rémunération, mais aussi sur la pension.
Dans l’état actuel − un déroulement de carrière sur trois grades − la FSU se bat pour que la classe exceptionnelle soit accessible à toutes et tous. Mais est-ce ce que nous voulons ? Est-ce contre une inégalité entre les corps que nous devons concentrer nos forces et notre communication ? Non, les mandats de la FSU sont clairs : nous voulons un avancement identique pour toutes et tous, un déroulement de carrière fondé sur un rythme unique et un seul grade ! C’est bien une revalorisation générale de tous les personnels que la FSU revendique par une revalorisation indiciaire immédiate de toutes et tous et sans conditions ni contreparties. L’École émancipée revendique même un corps unique de la maternelle à l’université, parce que l’unification des corps est la meilleure manière de lutter contre les divisions et la mise en concurrence.
La classe exceptionnelle, mère des batailles ?
Les négociations sur la classe exceptionnelle constituent-elles la mère des batailles sur le salaire enseignant ? Est-ce par cette voie que nous obtiendrons une augmentation générale de salaire pour toutes et tous ? Pas plus que le pacte,
un accès élargi à la classe exceptionnelle (via une négociation au ministère sur les taux de promotion pour y accéder ou sur un rendez-vous de carrière supplémentaire) ne constituera une revalorisation à même de rattraper les pertes accumulées de pouvoir d’achat de l’ensemble des enseignant·es, ou de rendre son attractivité à la profession.
Ne nous trompons pas dans le message que nous adressons à nos collègues : ce n’est pas en bataillant sur la classe exceptionnelle, qui ne touche que les fins de carrière, que nous mobiliserons l’ensemble de la profession et serons en mesure de construire un rapport de force à même de gagner une réelle revalorisation.
C’est en unifiant la profession autour des revendications salariales fédérales (plus 80 points d’indice pour toutes et tous) que nous serons en mesure de gagner d’autres choix budgétaires, économiques et sociaux. La FSU ne doit pas s’enfermer dans la mémère des batailles en portant un discours qui ne s’adresse pas à toutes les classes d’âge et toutes les catégories.