PAR JULIEN RIVOIRE
En juin dernier, la France a suffoqué sous une nouvelle vague de chaleur. Plus de 2 200 établissements scolaires ont dû fermer. Un signal d’alarme qui révèle l’état critique d’un parc scolaire mal adapté au changement climatique, qui crée autant de situations dangereuses pour la santé des élèves et des personnels. Début septembre, l’Alliance écologique et sociale (AES) publiait un rapport présentant un état des lieux des enjeux et formulait des propositions structurantes pour un véritable plan d’adaptation du service public d’éducation.
Début juin, plus de 80 départements ont subi une canicule d’une intensité inédite. Résultat: salles de classe à plus de 30 °C, ventilateurs achetés à la hâte par les enseignant·es, élèves contraint·es de passer les épreuves du brevet et de l’oral du bac dans des conditions insoutenables. Dans de nombreux cas, les autorités ont préféré fermer purement et simplement les établissements. Or, cette situation n’a rien d’exceptionnel, c’est un avant-goût de ce qui nous attend, car le bâti scolaire français, vieillissant et mal isolé, n’est préparé ni aux canicules estivales ni aux hivers rigoureux.
Des inégalités renforcées
Fenêtres défectueuses, chauffage en panne, infiltrations d’eau, verrières exposées plein sud, absence d’isolation, absence d’ombre et de végétalisation dans les cours : les problèmes s’accumulent. Dans les communes rurales ou populaires, où les écoles sont souvent plus anciennes et les budgets serrés, la situation est encore plus préoccupante. En effet, les inégalités environnementales se manifestent de manière aiguë dans les zones urbaines défavorisées, et les collectivités locales des territoires les plus démunis souffrent d’une action de l’État trop limitée.
La rénovation du bâti scolaire est également un enjeu sanitaire. C’est bien souvent le cas avec des locaux amiantés. mais c’est aussi le fait de la combinaison des fortes chaleurs et de pics de pollution de l’air qui aggrave les risques respiratoires. Les écoles, en particulier dans les quartiers défavorisés, sont des zones critiques avec des risques accrus pour les élèves en raison de leur exposition prolongée à la chaleur et à la pollution. Les personnels éducatifs sont également touchés, subissant des perturbations physiques et cognitives. En effet, les variations de température ont des effets sur la capacité à travailler. Lors des vagues de chaleur, le fonctionnement cognitif est ralenti et la fatigue se fait rapidement sentir, ce qui complexifie l’apprentissage pour les élèves et le travail éducatif pour les personnels.
Enfin, agir maintenant sur le bâti scolaire, c’est agir pour la solidarité entre les générations et léguer aux générations futures des services publics plus résilients, moins consommateurs et donc plus économes.
Une alliance inédite pour imposer le sujet
Face à l’urgence, syndicats et associations – FSU, Sud Éducation, CGT Éduc’Action, Greenpeace, Oxfam, Les Amis de la Terre, Confédération paysanne et Attac – se sont regroupés dans l’Alliance écologique et sociale (AES). Et c’est ensemble, en croisant leurs regards et leur expertise que ces organisations ont publié, le 5 septembre dernier, un rapport qui dresse un état des lieux sans appel.. Le document plaide pour un plan national de rénovation énergétique et écologique : diagnostic systématique des établissements, protocole spécial en cas de météo extrême, végétalisation des cours, isolation thermique. La nécessité d’une stratégie globale est rappelée, articulant réponses immédiates et planification de la rénovation globale.
Au-delà du rapport, une vaste enquête est en cours, avec plus de 9 000 réponses à ce jour, pour construire un diagnostic que l’État se refuse aujourd’hui à produire. C’est ensuite une vaste campagne qui doit s’inscrire dans la durée, en s’adressant aux parents d’élèves et aux collectivités locales pour imposer à l’agenda cette question des conditions de travail et d’études, en se saisissant des échéances électorales à venir, en commençant par les municipales en 2026.
Un parc immense, énergivore et polluant
L’École française est un poids énergétique, et donc un coût de fonctionnement très important pour les collectivités territoriales. Mais c’est aussi un levier majeur pour la bifurcation écologique : 1,5 % des émissions nationales de gaz à effet de serre (GES) proviennent du bâti scolaire. Ainsi, agir pour la rénovation du bâti scolaire devrait être une urgence pour l’État afin de respecter ses engagements de baisse d’émissions de GES.
Selon les rapports parlementaires produits ces dernières années sur lesquels s’appuie l’AES, la rénovation du parc scolaire nécessite au moins 5 milliards d’euros par an pendant dix ans, soit 50 milliards au total. Un investissement indispensable pour respecter le décret tertiaire et répondre aux projections climatiques : dans une France à +2,7 °C, le nombre de jours de canicule sera multiplié par cinq ; dans un scénario à +4 °C, par dix. Problème : les collectivités locales, en particulier les petites communes, n’ont pas les moyens de financer seules ces travaux. L’État doit prendre ses responsabilités, mettre en place un dispositif national de diagnostic climatique des écoles, dégager les ressources financières pour engager les travaux, mais également planifier avec le secteur du bâtiment les besoins, et donc les formations à construire au plus vite pour permettre de répondre à la demande de travaux.
Une école bien dans ses murs, une société mieux préparée
La conclusion du rapport est claire : seule une volonté politique forte, accompagnée d’un plan de financement massif, permettra d’engager la rénovation du parc scolaire. Faute de quoi, les épisodes de juin 2025 – examens perturbés, établissements fermés, inégalités creusées – deviendront la norme. Un effort financier peu important si on le compare aux cadeaux faits aux grandes entreprises et aux ultra riches ces dernières années. D’autant que l’enjeu est l’avenir des prochaines générations : réhabiliter nos bâtiments scolaires, c’est construire l’École de demain. Une École qui pourrait être construite avec les personnels, mais également les enfants et les élèves, et faire ainsi de cette politique un enjeu pédagogique d’appropriation du changement climatique et des réponses existantes pour l’atténuer et adapter nos sociétés.
Un bâti et un environnement scolaire de qualité sont essentiels pour que le système éducatif puisse assurer sa mission première d’émancipation par les savoirs et de construction d’une culture commune. Une urgence climatique, mais aussi sociale et éducative.
QUELQUES CHIFFRES
- 63 000 bâtiments scolaires, soit 30 % du patrimoine public français.
- 86 % des établissements à rénover pour atteindre les normes « basse consommation ».
- 10 % en état de vétusté avancée.
- Les écoles représentent 82 % de la consommation énergétique des communes, alors qu’elles ne constituent que 31 % de leur patrimoine immobilier.