Culture

Médias

Spectre : faire du podcast un outil militant

Spectre est une plateforme gratuite et non commerciale de podcasts, animée par une association. L’idée est venue en 2020 à un groupe de militant·es, avec la multiplication récente des contenus audios et la diffusion large par des acteurs commerciaux, de construire des podcasts autour de luttes ou de pensées critiques, notamment féministes. Du côté du mouvement social, encore peu d’organisations ou de collectifs avaient franchi le pas de la production de podcasts. Les contenus audios qui existaient restaient souvent confidentiels et, même lorsqu’ils ne l’étaient pas, il manquait des espaces communs pour les rassembler.

Spectre est une manière de mener la bataille culturelle, essentielle dans le jeu politique, à côté des luttes syndicales et sociales, et des échéances électorales. Car le podcast offre de nombreux avantages : il permet d’expérimenter de nouvelles formes, des récits qui font entendre d’autres voix. Il est simple à écouter partout et tout le temps et aujourd’hui, les outils pour enregistrer et monter sont largement accessibles.

L’idée était de permettre à des collectifs, des organisations, des personnes de prendre la parole côte-à-côte, pour faire connaître leurs analyses, leurs luttes, leurs outils au service de l’émancipation. L’équipe de Spectre l’a fait à la fois en suscitant de nouveaux contenus et en invitant des podcasteur·ices déjà établi·es à rejoindre la plateforme, pour enrichir les échanges et donner un écho plus grand à chaque contenu. Les auditeurices peuvent nous trouver directement sur le site spectremedia.org ou sur notre application, pour ne pas être dépendant·es des grandes plateformes commerciales des bigtech.

Ce sont aujourd’hui 39 séries de podcasts, 750 épisodes et près de 500 000 écoutes que notre plateforme a enregistré·es. En plus de l’École émancipée, nous hébergeons des podcasts de deux syndicats CGT — des discussions sont aussi en cours avec Solidaires — deux podcasts d’Attac, celui des Économistes atterrés, Acrimed, Contretemps, et plein d’autres collectifs. Les thématiques sont variées : syndicalisme, politique, féminisme, écologie, migration, mais aussi jeux vidéo, pilosité, cuisine…

La plateforme disposant de très peu de moyens, financiers comme humains, toutes les énergies militantes sont donc les bienvenues.

Si vous voulez vous mettre au podcast, même sans expérience technique préalable, n’hésitez pas ! Écrivez-nous sur les réseaux sociaux ou sur contact@spectremedia.org

Hugo Harari-Kermadec

Goal-Volant : le sport autrement

Qui ne connaît pas cette règle emblématique des cours de récré dite du goal volant, qui permet au gardien de but de sortir de son but pour ne pas rester scotché à sa ligne durant tout le match ? Le podcast Goal-volant est à son image : empreint de nostalgie de ces parties de jeu débridées dans les squares, cours de récré et jardins individuels.

Une fois par mois, l’équipe de Goal-volant, composée en grande partie d’instits bretons camarades de l’ÉÉ, cherche à retrouver ces sensations du sport d’avant, du sport que nous n’avons jamais connu, du sport utopique ; à explorer le sport politisé, sociétal, le sport dont on peut parler, que l’on peut aimer et détester à la fois… le sport sportif, physique, âpre, rugueux, mais aussi celui des beaux gestes.

Du sport-spectacle au sport « bien-être », de l’agressivité individualiste au sens du collectif, du marketing à outrance à la démocratisation, du machisme à la mixité, le sport est un réel miroir de notre société, de ses valeurs et faiblesses.

Chaque émission peut explorer un thème (« sport & école », « sport & politique », « sport & alcool »…), faire découvrir des sports obscurs et méconnus (ultimate, foot gaélique…) ou tenter de répondre à des questions existentielles (« Dégenrons le sport ! », « Peut-on encore aimer le foot ? »…)

Ce podcast qui, sans prétention aucune mais toujours avec humour, décrypte la société à travers le prisme du sport, est à retrouver sur toutes les plateformes de baladodiffusion ou via ce lien : goalvolant.transistor.fr

Matthieu Béguet

Festival

Chalon : reprendre la rue !

« Vous vous attendiez à quelque chose. Vous vous attendiez même peut-être à ceci. Mais même dans ce cas, vous vous attendiez à autre chose. »

Pris à la volée d’un spectacle — Nous impliquer dans ce qui vient, compagnie 1Watt — ces mots résonnent à la clôture du dernier festival Chalon dans la rue. Dans ce festival de théâtre de rue créé en 1987, 200 000 spectatrices et spectateurs (cinq fois la population de la ville) se réapproprient l’espace public. Mais l’intégration du festival dans la ville ne passe pas que par les spectacles : une grande partie des 180 compagnies logées chez l’habitant·e, une année culturelle de Chalon rythmée par les sorties de résidence du Centre national des arts de la rue.

Pendant le festival, toute la ville est investie et se transforme en une immense scène, et en particulier les cours d’écoles qui deviennent des lieux où on se pose, on échange entre les spectacles qui s’y succèdent. Après les années Covid où le festival avait pris un tour très sécuritaire, les deux dernières éditions, volonté du festival ou perception de spectateur·ices, ont été résolument féministes et politiques : Acid Cyprine — Cie Sapiens Brushing, Aïe Aïe Aïe ! — Sale Gamine, Les Furtive — La Baleine Cargo, La Femme Pavillon — Le plus petit espace possible, Le Pédé — Jeanine Machine… Les habitué·es des séances de chant des J3É auront même retrouvé un plaisir partagé en reprenant les refrains du Récital… en grève ! de la compagnie La Têtue.

Pour savoir ce que nous réserve l’opus 2025 du festival, rendez-vous du 17 au 20 juillet à Chalon et ensemble, reprenons la rue !

Mathias Cazier

La culture, pourquoi tant de haine ?

La réduction des dépenses de l’État central comme des collectivités territoriales commence toujours par la culture. Prétexte tout trouvé pour remettre en cause fondamentalement « l’exception culturelle », pour accentuer le processus de privatisation en la marchandisant. Il est logique pour tous les responsables de festival de se tourner vers les partenaires privés pour faire face à la baisse des subventions publiques.

Avant la pandémie, les festivals faisaient office d’arbres qui cachaient la forêt de l’absence d’une politique culturelle de moyen terme de la part des responsables politiques. Désormais, l’arbre est en train de perdre ses branches. Un drame et un scandale.

Les festivals de jazz ne sont pas une exception même si leur coût est moins élevé que pour la musique classique, la pop ou le rock. Le public est fidèle mais vieillissant alors que la scène du jazz rajeunit. Les jeunes, après deux ans de pandémie, n’ont souvent pas pris l’habitude de fréquenter le spectacle vivant. La billetterie ne couvre pas la totalité des frais qui augmentent en fonction de nouveaux risques notamment ceux liés à la crise climatique. Certains, comme celui de Junas (Gard) par exemple, se sont transformés pour avoir des activités toute l’année, notamment en direction des écoles, d’autres, comme Vienne, commencent à évoluer. Partout des interrogations souvent sans réponse. Leur fonctionnement est assuré par des bénévoles.

Le jazz a besoin de combiner tradition et modernité, de faire la place aux musicien·nes confirmé·es et à la génération montante, les faire se rencontrer pour faire jaillir des étincelles de créativité. Le jazz ne peut vivre qu’en travaillant ses mémoires pour créer la mémoire de l’avenir. Ce devrait être aussi le rôle des festivals.

Nicolas Béniès

Série

ADOLESCENCE

Adolescence, série diffusée sur Netflix, a connu un succès tel au Royaume-Uni que le gouvernement a accepté de la diffuser dans les établissements du second degré pour former les élèves contre le sexisme. L’intrigue débute avec l’arrestation d’un adolescent de treize ans accusé du féminicide d’une de ses camarades.

Le récit repose sur l’immersion, façon caméra embarquée, dans un microcosme mis sous tension qui change à chaque épisode (le commissariat, le collège, l’institution psychiatrique pour enfants, la famille du prévenu), et le plan séquence, qui renforce l’effet documentaire et permet de s’investir dans une quête de sens dépendant des points de vue des personnages.

Jouant sur les codes du genre policier, le réalisateur se sert de sa virtuosité esthétique pour déplacer rapidement l’enjeu classique de l’enquête policière — qui a tué ? — et la transformer en véritable enquête sociale : qu’est-ce qui pousse de jeunes garçons à tuer des jeunes filles ? Il livre ainsi un tableau criant de vérité d’un monde des adultes en crise, dépassé par les nouvelles pratiques culturelles des jeunes né·es à partir de 2010 et pointe l’extrême vulnérabilité touchant un nombre significatif de garçons — symbolisée ici par le physique enfantin de l’acteur principal — comme une porte d’entrée vers une dynamique de violence de genre.

Adolescence n’apporte pas de pistes de solution au masculinisme qui ronge les garçons de cette génération. Mais la série participe à faire reconnaître ce phénomène comme un véritable problème à résoudre et elle légitime la mise en place de programmes comme ceux de l’Éducation à la vie affective et relationnelle et à la sexualité (Evars) dans le système scolaire français.

Grégory Bekhtari

Livres

Prisonnier du désert

711 jours aux mains d’Al-Quaïda, tel est le sous-titre de ce témoignage. Olivier Dubois, correspondant au Mali pour Le Point et Libération a sans doute été trahi par son fixeur et a vécu presque deux ans dans le désert, bringuebalé de lieu en lieu, plus inconfortables les uns que les autres. Tous les quinze jours, de nouveaux moudjahidines s’occupaient de lui ou plutôt le surveillaient, les uns conciliants, les autres, plus nombreux, méprisants. C’est la pratique sportive qui l’a aidé à tenir le coup, mais aussi un mental d’acier et surtout la radio qui transmettait régulièrement des messages de sa famille. Journaliste dans l’âme, il note au fur et à mesure ce qu’il vit ainsi que ce que sont et ce en quoi croient ses ravisseur·euses. Il raconte leur quotidien, leur fanatisme, certain·es étant convaincu·es par leur religion, d’autres davantage par l’argent. Être djihadiste étant aussi un « métier », tout au moins un gagne-pain…

D’un lieu à l’autre, d’une rencontre à l’autre, d’une tentative d’évasion à une autre, il nous installe dans le temps long et monotone de la captivité. Enchaîné, malnutri, malade parfois, il résiste cependant malgré le départ de la force Barkane, n’hésitant pas à se lancer dans des joutes verbales avec ses tortionnaires, demandant sans cesse à interviewer leur chef, à lire le Coran pour essayer de comprendre. Et nous, lecteurs et lectrices, l’accompagnons dans ce quotidien insupportable et découvrons de l’intérieur ce fléau qu’est le fanatisme.

Nolwenn Bochereau

Prisonnier du désert, Olivier Dubois, Michel Lafon, 2025, 19,95 euros.**

Retour à Lemberg

Le 21 novembre 2024, la Cour pénale internationale (CPI) émet un mandat d’arrêt à l’encontre des dirigeants israéliens B. Netanyahou et Y. Gallant ainsi qu’un dirigeant du Hamas M. Deif pour « crimes contre l’humanité et crimes de guerre ».

Le livre de Sands revient sur les circonstances qui ont permis l’instauration d’une juridiction supra nationale et l’émergence des notions de « crimes contre l’humanité » et de « génocide ». Deux juristes originaires de la ville ukrainienne de Lviv (Lemberg), R. Lemkin et H. Lauterpacht ont forgé ces concepts dans les années 1940, en lien avec la tragédie du génocide des Juifs. Lemkin introduit la notion de génocide et Lauterpacht celle de crime contre l’humanité. C’est au procès de Nuremberg que sont utilisées ces notions et l’idée que les individus restent responsables de leurs actes même s’ils sont conformes à la législation nationale dont iels dépendent au moment des faits.

C’est aussi à Lemberg que H. Franck, haut dignitaire nazi qui sera jugé à Nuremberg, annonça la solution finale.

La construction de l’ouvrage est singulière. La famille de P. Sands, elle aussi originaire de Lemberg, a été décimée par les nazis. On découvre leur photo, leur vie et leur destin au fil des pages et l’intime se tresse avec la grande histoire.

Quelles que soient les limites du droit, de ses effets ou de ses usages, l’existence d’une juridiction internationale est un important progrès civilisationnel. À l’heure où l’extrême droite oppose l’identité à l’humanité, Retour à Lemberg est une lecture prophylactique.

Jean-Philippe Gadier

Retour à Lemberg, Philippe Sands, Albin Michel, 2017, 23 euros.**