**Les journées intersyndicales femmes, une 27**^**e**^**édition très réussie !**

Pour la 27e année consécutive, les journées intersyndicales femmes se sont réunies à la bourse du travail de Paris, à l’initiative de la CGT, la FSU et Solidaires. Les 3 et 4 avril derniers, environ 400 participant·es ont assisté à des tables rondes et débats, avec des invitées remarquables issues de la recherche, d’associations et de syndicats.

Fruit d’un travail intersyndical et d’une mobilisation militante riche et intense, les journées intersyndicales femmes, organisées chaque année de façon unitaire, ont été une fois de plus une réussite. Elles montrent la voie du travail à mener dans le cadre de la construction de la « maison commune ». Travaux communs qu’il est désormais indispensable d’étendre à d’autres domaines que les questions féministes.

L’enjeu de ces journées, très attendues dans le milieu militant, est bien de nourrir notre réflexion sur l’articulation entre le syndicalisme et le féminisme, les difficultés et les réussites rencontrées et surtout sur les moyens de faire progresser ensemble ces questions, en partageant nos expériences et en nous outillant pour être plus fortes et les porter à tous les niveaux, sur nos lieux de travail, dans nos organisations, dans la société.

Cette édition aura aussi été marquée par l’expression de notre solidarité féministe internationale, notamment avec la venue de Kimberley Crenshaw, juriste étasunienne. Après un retour sur le concept d’intersectionnalité qu’elle a développé dans les années 1990, elle a pointé les critiques qui lui ont été faites. Elle a aussi mis ce concept en regard avec les enjeux de la période, dont notamment le retour au pouvoir de Trump, montrant toute son actualité.

Les tables rondes ont abordé quatre thèmes : la construction des masculinismes au travail et ailleurs, l’éducation et la formation pour combattre le patriarcat, l’intersectionnalité et la santé des femmes comme facteur d’inégalités professionnelles.

Masculinisme et nouveaux pères

Toutes les interventions étaient de très grande qualité mais, au regard du contexte, nous mettrons en exergue celles sur le masculinisme et les « nouveaux pères ».

L’intervention de Diane Lamoureux, professeure en sciences politiques au Québec, sur l’antiféminisme, en évoquant notamment le féminicide de masse à l’École polytechnique de Montréal, en 1989, a montré en quoi la période actuelle est favorable à la montée des discours antiféministes. Contre ces discours et ses variantes et la montée du masculinisme, il faut répéter inlassablement que les inégalités existent toujours et que les pratiques doivent changer. Il est nécessaire de déconstruire le discours antiféministe et de continuer à mener le combat féministe pour la justice et l’égalité, la liberté et une société solidaire.

Ensuite, Laura Verquere, post-doctorante en sciences de l’information et de la communication, membre du comité éditorial de la revue La Déferlante, est intervenue sur l’émergence de nouvelles masculinités.

Dans sa thèse, Les nouveaux pères : la recomposition d’une masculinité hégémonique dans et par le problème public du congé paternité, elle compare la manière dont des militantes féministes et quelques hommes privilégiés ont milité pour l’allongement du congé paternité. Elle analyse les bénéfices directs et indirects (visibilité médiatique, gains professionnels et économiques…) que ces hommes ont retirés de cet engagement, renforçant finalement leur place hégémonique et invisibilisant les revendications féministes de départ sur le partage des tâches et la protection de la santé des femmes post-partum.^1^

Pour L. Verquere, il est nécessaire de penser les masculinités sous l’angle de l’hégémonie et des rapports de pouvoir entre les femmes et les hommes et aussi entre les hommes entre eux. En apparence, on aurait d’un côté des masculinistes en résistance face au renversement des hiérarchies imposé par les féministes et de l’autre ceux qui disent embrasser ces changements. Cependant, dans les catégories sociales dominantes, « être un bon père » est une caractéristique valorisée, qui permet d’établir une hiérarchie dans la compétition entre les hommes mais aussi de maintenir une domination sur les femmes et donc de garder une position hégémonique dans la société.

L. Verquere cite l’exemple de la garde alternée, peu demandée par les pères, avec des refus minoritaires. Cette demande, souvent formulée dans le cadre d’une « guerre » au sein du couple, relève rarement d’un souhait réel du père d’avoir un lien avec son ou ses enfants.

Avec ces nouveaux pères, le dur des inégalités sociales persiste, car ils prennent surtout en charge les tâches visibles. Au travail, pour les mères le risque de précarité augmente avec l’arrivée des enfants contrairement aux pères, valorisés économiquement car en charge de leur famille.

Ces hommes utilisent le langage de la modernité (courage, persévérance, compétition, innovation) et remplissent toutes les attentes d’une société néolibérale en mettant en avant la question de l’audace (réinventer sa paternité, initiatives individuelles, bouleverser les codes, valorisation de l’entreprenariat).

L’homme moderne gagnant sur tous les plans

L. Verquere donne comme exemple les hommes « influenceurs ménage ». L’objectif affiché est de casser les codes, d’en faire un champ de la nouveauté, du désirable, du plaisir, de l’épanouissement.

Ces masculinités hégémoniques ne sont pas violentes mais très répandues et légitimées par les institutions. L’homme moderne valorisé maintient son hégémonie en réaction au féminisme en opérant un repositionnement. Ces hommes sont gagnants sur tous les plans en mettant en avant le fait d’être bon père, bon patron, homme politique compétent…

Cela masque mal les inégalités persistantes dans les pratiques. Les modèles et les aspirations changent mais les inégalités de répartition des tâches domestiques restent stables (90 % des rendez-vous médicaux pour les enfants sont pris pas les femmes).

Les effets de cette valorisation sont multiples :

➤ elle recouvre les revendications sociales comme l’allongement des congés parentaux. Alors que les féministes font le lien entre dépression post-partum et présence du 2e parent, l’injonction à la positivité de la paternité masque la souffrance des femmes. Dans la réalité, seuls 1 % des pères sont en congé parental.

➤ Elle renforce la hiérarchie entre les hommes par la valorisation des métiers dans le registre de la nouveauté et l’usage d’un langage très managérial.

➤ Elle génère de la captation : les « nouveaux hommes », qui se caractériseraient par leur capacité à s’adapter, se réapproprient les caractéristiques attribuées aux femmes (soin, tempérance, douceur…) et leur donnent une nouvelle valeur. Ils apparaissent comme compatibles avec les attentes d’égalité mais cela ne s’accompagne pas par un questionnement de fond et structurel sur les métiers du soin.

➤ Elle ne fait pas reculer les stéréotypes de genre : l’investissement du champ féminin se fait sur un mode masculin. La paternité est définie en termes de performance et d’efficacité, ce qui la rendrait compatible (et même désirable) avec le monde de l’entreprise. Le père est un spécialiste, un expert, pas un père du quotidien.

Sophie Abraham

1. Un podcast : ttps://papatriarcat.fr/2024/02/07/138-les-nouveaux-peres-a-lere-mediatique-laura-verquere/

Vous pourrez retrouver l’intégralité des interventions sur le site de l’école émancipée : https://ecoleemancipee.org**