Entretien avec des travailleuses invisibles essentielles – Toulouse, la lutte des invisibles

En janvier, alors que le déménagement de la cité administrative de Toulouse se préparait, le personnel de ménage apprenait qu’il restait à quai. Un véritable séisme pour ces femmes ! Après des années, alors qu’elles sont employées par des sociétés sous-traitantes de l’État, elles perdent un emploi, une stabilité, avec une grande brutalité. Nous parlons ici d’une annonce en janvier, avec un déménagement en février. Très vite, l’action collective s’organise.

Après l’annonce que vous ne seriez pas reprises à la cité administrative, comment vous êtes-vous organisées pour lutter ?

Le choc a été brutal. Apprendre, du jour au lendemain, que nous ne serions pas reprises à la cité administrative a été un coup dur, autant sur le plan professionnel que personnel. Nous sommes des femmes, avec des anciennetés de 20, 25, 30 ans, assurant le ménage, l’entretien, le bon fonctionnement des espaces… Nous avions déjà mené une lutte, gagnante, des années auparavant, pour travailler non pas tôt ou tard mais en journée, pour que l’on puisse s’occuper de nos familles. On nous appelle les « invisibles », et pourtant, sans notre travail, rien ne tourne. Très vite, on s’est retrouvées avec les syndicats de la cité, car il était hors de question d’accepter sans rien dire d’être jetées dehors.

Quelles actions avez-vous pu mettre en oeuvre pour rendre visible votre lutte ?

Dès l’annonce, il a fallu réagir. D’abord, il y a eu la colère, l’incompréhension, puis très vite, l’envie de se battre. Nous nous sommes regroupées avec le soutien de l’intersyndicale de la cité administrative. Elle a écouté ce que nous voulions et nous a proposé différentes actions. Il fallait faire entendre notre voix. Cela a pris la forme d’un communiqué et d’articles dans la presse tout d’abord. Ensuite, une audience en préfecture a été demandée permettant de poser les enjeux et nos revendications, avec un rassemblement pour montrer notre détermination et le soutien que nous avions. L’intersyndicale nous a fait participer à la soirée ciné-débat autour de la thématique Femmes et travail organisée dans le cadre du 8 mars. Nous avons pu populariser notre lutte et faire signer notre pétition de soutien. Le 8 mars, nous avons pris la parole devant plus de 10 000 manifestant·es. Un grand moment de solidarité éprouvé par nous toutes, un moment pour échanger, nous soutenir et surtout, organiser une riposte. Dernièrement, la rencontre avec la délégation aux droits des femmes de la préfecture a permis de sécuriser les derniers parcours.

Deux mois plus tard, où en est-on ?

Deux mois après, grâce au soutien de l’intersyndicale, nous avons pu résister et avoir des leviers d’action. En janvier, il nous était proposé des reclassements loin de chez nous, nous qui dépendons des transports en commun, avec des horaires difficiles à tenir, des contraintes de transports mais aussi de vie personnelle et familiale. Grâce à cet appui, à la mise en visibilité, à notre exposition, finalement des propositions de reclassement acceptables, respectant nos droits, ont été faites. La majorité est en emploi aujourd’hui. Pour celles qui restent, l’intervention de la FSU a permis de sécuriser un accompagnement « sur mesure » pour épauler les projets professionnels.

Être invisibles, ce n’est pas être inexistantes. Pas reprises à la cité, mais ensemble, on n’a pas pu nous effacer !

Propos recueillis par Alexandra Nougarède