**Italie, une seule école**

En Italie, la conception universaliste de l’inclusion des élèves handicapé.es est née des luttes populaires et syndicales. Mise en place dès la fin des années 1970, elle doit inspirer notre réflexion militante.

En Italie, à la fin des années 1960, les étudiant.es, femmes et ouvrier.es s’organisent au-delà des universités et des usines, dans un élan populaire exigeant de participer aux décisions et ne plus déléguer, dans la société tout entière. Les étudiant.es, les parents et la classe ouvrière se mobilisent pour s’impliquer dans l’organisation de l’école au travers d’organes collégiaux de décision. Il s’agissait de garantir l’accès à l’école et aux services publics à tou.tes les enfants, sans distinction : la politique éducative devait être un bien commun.

Dès 1971, la loi 118 garantissait le transport gratuit du domicile à l’école ou aux cours, l’accès à l’école et en cas d’invalidité grave, une assistance pendant les heures de classe. En cas d’impossibilité vérifiée de fréquenter des écoles publiques, des classes séparées de l’école étaient créées avec recours à des enseignant·es spécialisé·es. De plus, pour les familles des personnes handicapées dans des conditions économiques difficiles, la gratuité était garantie.

Les luttes populaires ont conduit à un tournant historique. Le Decreti delegati sulla scuola ouvre la gestion des établissements scolaires aux associations de parents d’élèves, aux syndicats, aux représentants des autorités locales (formation continue, programmation, application des réformes, etc.)

Fermetures des écoles spécialisées

En 1977, la loi 517 a inscrit dans la Constitution italienne le droit à l’instruction et à l’intégration en milieu ordinaire de tou·tes les enfants handicapé.es, de l’école maternelle au collège. L’inclusion s’est imposée comme un élément de droit majeur dans la législation et dans la réforme de l’éducation, contre le principe de sélection des élèves alors en vigueur, avec des classes ou écoles « spéciales ».

Cette rupture législative a mené à la fermeture des anciennes écoles spécialisées à la fin des années 1970 et à la scolarisation de la quasi-totalité des élèves handicapé.es à l’école (3 % de la population scolaire avec 235 000 élèves en 2017). Le droit à l’éducation pour tou.tes de la maternelle à l’université est garanti, avec comme principe essentiel la planification coordonnée des services scolaires avec les services de santé, d’assistance sociale, de culture, de loisirs et de sports.

La bataille du psychiatre Franco Basaglia, directeur de l’hôpital psychiatrique de Venise, a très certainement pesé dans ce tournant. Il est à l’origine de la loi de 1978 qui a acté la transition des hôpitaux psychiatriques du modèle fermé vers un modèle territorial ouvert. Des lieux de soins ouverts ou semi-fermés ont été mis en place, garantissant aux patient.es la reprise de l’exercice de leurs droits sociaux. Le dernier hôpital psychiatrique italien a fermé en 1998 : il aura fallu 20 ans de constance dans cette démarche pour que les patient.es ne soient plus mis.es à l’écart et oublié.es dans les institutions. La législation italienne est en constante évolution, mais le principe selon lequel toutes et tous les élèves ont leur place à l’école reste entier.

Inscription obligatoire

En 1987, la Cour constitutionnelle bannit le concept d’« irrécupérable » et indique que l’inscription à l’école ne peut être rejetée. Dans la continuité des luttes contre les institutions fermées depuis les années 1970, les principes suivants y sont affirmés : sans scolarisation il y a régression ; la scolarisation est synonyme d’intégration sociale ; l’isolement est négatif. Les progrès des élèves et non leurs résultats sont au cœur de leur parcours. Les parents continuent d’être pleinement associés à la construction du parcours et à sa mise en œuvre au travers de réunions régulières et de la possibilité d’assister à des séances dans l’école et la classe.

Alors que le nombre d’enseignant.es spécialisé.es en France était de 27 000 en 2022/2023 (DEPP), soit 1 pour 22 élèves handicapé.es, le nombre d’enseignant.es spécialisé.es ou de soutien en Italie était 9 fois supérieur (207 000 en 2021/2022), avec un ratio de 1 enseignant.es pour 1,5 élève !

Les enseignant.es de soutien exercent à plein temps en classe, en complément de l’enseignant·e de la classe et d’un.e accompagnant.e attitré.e à la classe. Si besoin, la municipalité peut employer un.e éducateur.trice (service public donc) en plus.

La question de l’inclusion est depuis 50 ans une affaire collégiale et citoyenne : les affectations des élèves sont gérées par un bureau municipal qui inclut la représentation syndicale. Dans les établissements, des groupes de travail inter-catégoriels se réunissent et le travail collégial est une priorité (voir interview de Patrizia).

Les choix austéritaires et régressifs des politiques publiques n’épargnent pas l’Italie : l’augmentation du nombre d’élèves « certifié.es » (à besoins éducatifs spécifiques) et l’augmentation des heures de soutien qui leur sont dédiées ont entraîné le recrutement massif d’enseignant.es de soutien dont le niveau de formation est inégal et le statut précaire. Les concours de recrutement n’étant pas annuels, il y a aujourd’hui moins d’un.e enseignant.e de soutien sur trois qui est spécialisé.e et moins d’un.e sur quatre a suivi une formation sur l’inclusion.

Cela n’empêche que les attaques du gouvernement d’extrême droite de Meloni n’ont pas pu faire reculer à ce jour le principe et la réalité de toutes et tous en classe car l’école et la société inclusives sont solidement ancrées dans les mentalités italiennes

MAGALIE TRARIEUX et SIMONETTA SEU ESAULOV

Toutes et tous capables

Dès la fin des années 1920, Vygotski*affirmait que tout enfant.e peut accomplir l’incroyable pour peu qu’iel soit accompagné.e dans son développement dans le milieu éducatif et pédagogique. Il mettait en garde contre la tentation de figer le développement réel de tout.e enfant au travers des « performances » et le danger de condamner les enfants handicapé.es dans leur condition biologique, le développement étant aussi culturel et chaque enfant disposant de son propre potentiel. Il voyait l’école comme un lieu de transformation de la vie humaine et sociale. Cette posture progressiste est toujours d’actualité, nous devons nous en emparer !

*Pédagogue psychologue qui défend, entre autres, la théorie selon laquelle c’est en se socialisant que l’enfant construit ses connaissances.