Interview de Thomas vacheron (cgt), Murielle Guilbert et Julie Ferrua (solidaires)** Quelles perspectives pour un nouvel outil syndical ?
Nous avons posé les mêmes questions aux représentant·es de la CGT et de Solidaires, mais il ne s’agit pas d’une interview croisée.
*Murielle Guilbert et Julie Ferrua, co-déléguées de l’Union syndicale Solidaires et Thomas Vacheron, membre du bureau confédéral de la CGT, responsable du travail commun engagé entre la CGT et la FSU.
Dans ce contexte politique et social incertain, peu favorable au salariat et avecle risqueà très court terme d’une arrivée au pouvoir de l’extrême droite, comment le syndicalisme peut-il agir et mobiliser pour répondre aux besoins sociaux et écologiques ?
CGT Le syndicalisme doit modifier ses pratiques pour mieux défendre les salarié·es et agent·es, dans les entreprises et services. C’est ce que nous développons avec méthode, sur toutes nos campagnes comme celle «s’organiser avec la CGT pour gagner des augmentations de salaires ».
Coordonné interprofessionnellement, c’est le syndicalisme sur les lieux de production qui peut agir avec les salarié·es, premier·es touché·es par l’urgence sociale et écologique, pour alerter sur les risques environnementaux et construire des pistes alternatives.
Un ouvrier·e/employé·e sur deux, qui a voté aux législatives, a utilisé un bulletin d’extrême droite (ED). C’est aussi en répondant à leurs besoins que le syndicalisme constitue un rempart contre les idées d’ED qui se nourrissent de la désespérance sociale. Nous sommes l’un des derniers«outils» progressistes pour le salariat.
Il faut continuer à mettre la pression et rendre plus visible le fait que les pouvoirs politique, et pire encore, patronal, ne veulent rien changer pour préserver leurs intérêts. Malgré l’absence de FO, l’importante grève intersyndicale du 5 décembre 2024 a constitué un rebond et démontre que le syndicalisme dans la fonction publique existe encore. Le 12 décembre, la mobilisation pour les emplois et l’industrie a permis de visibiliser la catastrophe sociale de la généralisation des plans de licenciement. Le syndicalisme n’a d’avenir que s’il répond aux problèmes de l’ensemble du salariat.
Solidaires Le contexte n’est effectivement pas favorable aux travailleuses et travailleurs, avec des annonces de plans de licenciement qui se sont multipliées dans l’industrie, le commerce ou bien le secteur informatique au dernier trimestre 2024 déjà, et, malgré les votes et la motion de censure, un gouvernement qui va continuer et accélérer les réformes sécuritaires, régressives pour la fonction publique, les services publics, et en réalité toujours en faveur du patronat. Ceci ne va évidemment en rien améliorer la situation de ceux et celles qui créent les richesses, de la population, et peut être encore plus aggraver la tentation d’un vote RN, tandis que la parole raciste se «normalise» dans certains médias, mais aussi depuis plus longtemps dans les politiques de l’État ou les déclarations du chef de l’État.
Face à cette situation, Solidaires a, comme d’autres syndicats, mis en place un plan d’action contre l’extrême droite, pour agir concrètement, réinvestir les lieux pour toucher la population, d’abord dans nos administrations, nos entreprises, nos associations. Il s’agit de populariser et d’amplifier nos revendications sur les services publics, éléments clefs de justice sociale et d’égalité sur le territoire, celles sur l’emploi également. Il faut aussi agir concrètement contre le racisme, former, déconstruire notamment en mettant en place un observatoire du racisme au travail.
Après une séquence électorale au début de l’été qui a pu rebattre un peu les cartes du rapport entre syndicalisme (particulièrement celui de transformation sociale) et partis politiquesde gauche, comment votre syndicat se projette-t-il dans la perspective d’une probable nouvelle séquence électorale avec la menace grandissante de l’extrême droite ?
CGTEn juin 2024, la CGT a pris ses responsabilités en annonçant « face à l’extrême droite:front populaire». La FSU a ensuite eu une position similaire. Une partie des organisations syndicales ont appelé «pour que les exigences sociales soient entendues».
L’ED est la pire ennemie des travailleur·euses car elle les divise, ce qui fait le jeu du patronat, alors que le syndicalisme les rassemble sur la base de leurs intérêts communs. Le sursis a aussi été permis grâce à l’action syndicale dans les entreprises menée par les délégué·es, pas évidente quand la majorité de leurs collègues de travail a voté pour l’ED. La méconnaissance du programme de l’ED et les explications par les délégué·es à leurs collègues ont participé concrètement à convaincre de l’imposture sociale.
Appeler à voter pour le programme du NFP, du fait qu’il reprenait une grande partie de nos revendications, n’a pas été anodin dans les entreprises où des syndiqué·es n’ont pas comprisqu’il ne s’agissait pas d’un soutien partidaire. Cela s’est inscrit dans le respect de la charte d’Amiens, repère pour la CGT: la nécessaire indépendance du syndicalisme envers les partis car le syndicalisme doit rester un contre-pouvoir; l’adhésion à la CGT n’est pas sur des bases de proximité idéologique ou politique, mais à partir de la conscience des intérêts communs à défendre.
C’est ainsi que nous aborderons une nouvelle séquence électorale, et une difficulté supplémentairedu fait que le résultat des urnes n’a pas été respecté, ce pour quoi le Président a une responsabilité particulière. La préoccupation permanente, c’est que nos exigences sociales soient appliquées et d’empêcher l’ED d’accéder au pouvoir.
Le syndicalisme n’a pas le même calendrier que le pouvoir politique, et notre horizon n’est ni la prochaine dissolution ni les prochaines élections. La meilleure façon d’éviter le pire est de continuer à convaincre les salarié·es de l’utilité de s’organiser collectivement pour défendre leurs droits et en gagner de nouveaux. C’est en empêchant des reculs sociaux, et en gagnant des avancées, même modestes mais en les valorisant, que nous redonnerons confiance en notre camp.
SolidairesSolidaires n’a pas appelé à voter pour le Nouveau Front populaire, mais à combattre par tous les moyens l’extrême droite pour respecter le choix de positionnement de chacun de ses syndicats. Mais il est clair que des lignes ont bougé, des meetings communs ont amené à dialoguer plus, à montrer qu’en ayant un objectif commun, la conjugaison de nos actions communes peut avoir une force de persuasion populaire importante. La consultation et l’écoute des organisations syndicales par les partis politiques sont peut-être plus importantes qu’avant. Pour autant, le respect de l’indépendance de notre Union syndicale reste fondamental et permet aussi à l’ensemble de nos adhérent·es de garder leur liberté de choix politique, en accord avec nos valeurs et nos revendications. Par ailleurs, notre syndicalisme de transformation sociale ne peut être centré sur un enjeu d’accession au pouvoir, enjeu des partis politiques. Nos luttes doivent permettre de faire avancer les droits des travailleurs et travailleuses, la justice sociale, le combat contre les dominations et les inégalités, quels que soient les gouvernements en place.
Solidairestravaille à sécuriser les activités de ses syndicats et notre possibilité d’agir si l’extrême droite arrivait au pouvoir. Nous savons qu’il y aura un basculement pour notre démocratie, pour les droits des personnes immigrées, racisées, pour les personnes LGBTQI+, pour les femmes, et au-delà pour tout·es les opposant·es au pouvoir si l’extrême droite arrivait au pouvoir.
Au-delà de l’unité syndicale dans les mobilisations, un déterminant très fort des luttes sociales, comment envisagez-vous une possible refondation du syndicalisme de transformation sociale ?
CGTIl n’y a jamais eu autant de syndicats et jamais aussi peu de syndiqué·es. Seuls gouvernement et patronat peuvent s’en réjouir. Même si l’érosion du nombre de syndiqué·es ralentit, il faut être lucide sur les reculs. Avec les ordonnances Macron, tout se décide dans l’entreprise alors que nous y avons encore moins de moyens, ce qui exacerbe la concurrence syndicale, arrangeant les directions. Diviser pour mieux régner.
Au vu des enjeux et de ce que le syndicalisme de transformation sociale à vocation majoritaire partage, tant historiquement que comme pratiques et positions, réfléchir et agir à une refondation apparaît plus que nécessaire.
Sur les formes qu’elle peut prendre, c’est aux syndiqué·es d’en décider démocratiquement. C’est le sens de la démarche de travail en commun CGT-FSU repris depuis la mobilisation retraites de 2023, et qui s’évertue à la transparence quant aux échanges lors des rencontres locales comme nationales. Ce ne peut pas être une affaire des seules directions syndicales, même si elles doivent être motrices. Il y a nécessité de coller aux réalités rencontrées par nos syndicats et militant·es. Souvent d’ailleurs, ils et elles ne nous ont pas attendus et un travail en commun est déjà à l’œuvre.
SolidairesLa période du Covid, de la crise climatique, puis la montée de l’extrême droite en France ont «obligé» les syndicats de transformation sociale à repenser la nécessité de l’agrégation de nos forces. Ça a été faire partiedu collectif Plus jamais ça, notamment avec la FSU, devenu l’Alliance écologique et sociale. Une réflexion sur «la recomposition syndicale à la base» a été portée par Solidaires en 2021 et impulsée lors du congrès de la FSU en 2022. On peut considérer qu’il s’agissait là déjà des bases de refondation du syndicalisme. Pour autant, le dernier congrès de Solidaires est revenu sur la nécessité de réfléchir à l’unité syndicale avant tout, et force est de constater que l’unité syndicale est désormais plus fluctuante que lors de la période de lutte contre la réforme des retraites, alors que l’on sait que c’est un point clé pour une action plus large et la construction du rapport de force. Le processus de recomposition syndicale formel s’est de fait enclenché uniquement entre la CGT et la FSU après un congrès de la CGT en ce sens sur le champ de l’éducation. Mais la question de la refondation s’entend plus largement comme la place du syndicalisme dans le mouvement social.
Comment appréciez-vous la perspective proposée par la FSU dans la préparation de son congrès d’une étape concrète de cette refondation autour de la construction d’une structure souple du type « maison commune du syndicalisme de transformation sociale », à décliner localement, par secteurs professionnels, en fonction du contexte ?
CGTNous partageons cette appréciation, car cela s’inscrit dans le prolongement du travail en commun. Il faut que chaque militant·e ait conscience de l’opportunité historique qui se présente aujourd’hui à nous. Que ce soit en 1936 ou 1945, les grandes périodes de victoires sociales ont été précédées d’un mouvement d’unification du syndicalisme. À nous de construire celui du XXIe siècle. Cette fenêtre ne s’ouvre pas souvent.
L’idée d’une «maison commune» permet de ne pas s’enfermer dans un schéma préconçu avec une co-construction évolutive. La refondation envisagée ne saurait être une absorption, mais un rapprochement entre les organisations syndicales respectant leurs fonctionnements démocratiques et statutaires. C’est en multipliant les initiatives par des pratiques syndicales concrètes, des réunions, des mobilisations, des formations, que cette maison commune prendra sa forme.
L’avenir est incertain, chacun·e à nos postes de combats syndicaux, nous nous devons de donner des perspectives d’outils syndicaux efficaces pour plus et mieux organiser le salariat:unir le syndicalisme pour améliorer notre quotidien et transformer nos lendemains*.
SolidairesNous avons récemment rencontré Benoît Teste et des membres du bureau pour rediscuter de la période et de la recomposition syndicale en cours entre la CGT et la FSU. La FSU est dans une optique qui reste celle d’un travail unitaire fort avec Solidaires, c’est une chose positive. Nous pensons que parler ainsi de maison commune du syndicalisme permet d’ouvrir à d’autres syndicats la perspective d’une idée de rapprochement et de nécessaire unité. Cela préserve aussi l’idée d’un respect de la diversité de pratiques et de culture qu’ont nos syndicats. Cela permet peut-être également que cette recomposition se fasse sans se parasiter en interne de vos structures par le concept de fusion avec ses questions d’enjeux de pouvoirs ou de «lead» syndical qui l’accompagnent. Cela illustre l’idée de «non exclusivité» dans laquelle la FSU semble vouloir se placer. Pour Solidaires, c’est important de pouvoir compter sur les camarades de la FSU et de la CGT dans notre démarche commune du syndicalisme de transformation sociale, en particulier dans cette période mondiale et française complexe et parfois minée, où nos luttes sont plus qu’indispensables.**
Propos recueillis par Arnaud Malaisé
*Titre du document CGT/FSU qui lance le travail en commun.