Le concept de Sécurité sociale de l’alimentation (SSA) connaît un réel engouement : constitution de collectifs, lancement d’expérimentations, proposition de loi, etc. La FSU a validé un mandat d’étude lors du congrès de Metz en 2022 et elle devra se prononcer au prochain congrès à Rennes, sur son adhésion au collectif pour une SSA.
PAR Olivier Gautié Bureau national du Snetap
Le collectif pour une Sécurité sociale de l’alimentation a été initié, en 2019, par ISF-Agrista, Groupe thématique agricultures et souveraineté alimentaire d’Ingénieur·es sans frontières (ISF), au croisement entre des dynamiques préexistantes : la nécessité de transformer le système alimentaire1 en instaurant la démocratie alimentaire et une piste pour y parvenir, celle du fonctionnement du régime général de Sécurité sociale entre 1946 et 1958. Le Syndicat national de l’enseignement technique agricole public (Snetap-FSU) a d’ores et déjà intégré le collectif. Des syndiqué·es sont engagé·es dans des expérimentations locales. La fédération devra, lors de son congrès, qui se tiendra à Rennes du 3 au 7 février 2025, se prononcer sur l’adhésion au concept et l’intégration dans le collectif pour une SSA.
Une SSA pour quoi faire ?
La démocratie alimentaire est entendue comme la revendication des citoyen·nes à reprendre le pouvoir sur la façon d’accéder à l’alimentation, dans la reconnexion entre celle-ci et l’agriculture. Elle permettrait la transformation des systèmes agricoles, aujourd’hui dominés par de grands groupes capitalistes agro-industriels, en orientant la production agricole vers des pratiques plus respectueuses des écosystèmes et des êtres humains, pour nourrir la population et garantir le droit à l’alimentation.
Inscrit dans la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 et précisé par le Pacte international relatif aux droits économiques et sociaux, ratifié par 171 pays, dont la France, le droit à l’alimentation peut être résumé comme le droit à un accès régulier, permanent et libre à une nourriture quantitativement et qualitativement suffisante, correspondant aux traditions culturelles. Faire la queue pour aller récupérer ce que l’on a bien voulu mettre à votre disposition — les invendus de la grande distribution, qui bénéficie de défiscalisation par ce biais, est bien éloigné du respect de ce droit élémentaire. Les violences alimentaires, à l’heure où 37 % des Français·es se déclarent en insécurité alimentaire en 2023 (trois fois plus qu’en 2015), c’est-à-dire qu’elles et ils n’ont pas accès de manière régulière à une alimentation saine et suffisante, ont renforcé la volonté de proposer un autre système d’accès à l’alimentation.
Universalité de l’accès, caisses démocratiques de conventionnement, financement par cotisation… L’idée d’utiliser un mécanisme similaire à celui mis en place pour la branche santé de la Sécu en 1946, tout en l’améliorant pour prévenir des attaques et dérives qui sont apparues par la suite, s’est imposée pour concrétiser la revendication de la mise en place d’une démocratie alimentaire. Son principe est le suivant : tout comme les salarié·es cotisent auprès de la Sécu pour financer leurs soins de santé, chacun·e verserait à une caisse, une cotisation ajustée à son niveau de revenu. En échange, elle ou il pourrait dépenser 150 euros par mois pour l’alimentation, avec cette condition : seuls les produits alimentaires conventionnés seraient pris en charge, le conventionnement s’opérant sur la base de critères définis par les usager·es.
Ainsi s’est constitué le collectif pour une Sécurité sociale de l’alimentation, avec ISF-Agrista, Réseau salariat, réseau des Centres d’initiatives pour valoriser l’agriculture et le milieu rural (Civam), la Confédération paysanne, les Ami·es de la Confédération paysanne, le Mouvement inter-régional des Amap (Miramap), le séminaire Démocratie alimentaire, Vers un réseau d’achat en commun (Vrac), etc., rejoints par la suite par d’autres organisations, dont le Snetap-FSU en 2024. Il fédère à présent 15 organisations nationales et 26 dynamiques locales.
À défaut d’avoir pu lancer une expérimentation nationale, de nombreux collectifs se sont constitués localement pour initier des projets de caisses alimentaires, inspirées de l’idée de SSA, pouvant être comparées aux premières sociétés de secours mutuels qui ont préfiguré la Sécurité sociale. Les projets sont divers mais structurés autour de l’organisation d’une caisse d’alimentation, dont l’objectif est de permettre à une population donnée l’accès à des produits alimentaires de qualité, dans un réseau de magasins conventionnés, via une contribution. Ils révèlent la diversité des attentes des acteur·rices, selon qu’elles et ils s’y sont engagé·es plutôt à des fins de lutte contre la précarité, de transition agricole ou de vie démocratique. Souvent intégrées dans le collectif pour une SSA, ces expérimentations locales sont parfois soutenues, voire impulsées par des collectivités territoriales. On peut par exemple citer Territoires à vivres à Montpellier, Caiss’alim à Toulouse, les expérimentations menées en Gironde par le collectif Acclimat’action, la SSA Alsace, le Collectif local de l’alimentation de Cadenet (Clac) dans le Vaucluse, etc.
Une dynamique en construction
Après avoir mené une réflexion sur la prévention et la lutte contre la précarité alimentaire, le Conseil national de l’alimentation, instance consultative indépendante, a émis en octobre 2022 un avis2 dont une recommandation opérationnelle vise à « expérimenter la mise en place d’une sécurité sociale de l’alimentation au sein du régime général de Sécurité sociale, visant à permettre un accès universel à un socle alimentaire, financé par une cotisation sociale en lien avec la production réelle de valeur ajoutée, dans le cadre d’un conventionnement entre des producteurs et des caisses gérées démocratiquement. »
Le 15 octobre 2024, des député·es écologistes ont déposé une proposition de loi « d’expérimentation vers l’instauration d’une Sécurité sociale de l’alimentation »3. L’objectif affiché est « à titre d’expérimentation pour une période de cinq ans, la mise en place et le financement des caisses alimentaires adoptant un fonctionnement préfigurant ce que pourrait être celui d’une sécurité sociale de l’alimentation. »
Augmenter le pouvoir d’achat est insuffisant pour donner accès à une alimentation saine et de qualité à tou·tes. D’une part, selon les études, malgré une hausse du pouvoir d’achat, l’alimentation reste la variable d’ajustement pour gérer un budget grevé par des dépenses contraintes (logement, hausse des factures énergétiques, etc.), notamment pour les personnes en situation de précarité. D’autre part, augmenter les revenus individuels circonscrit la question alimentaire à l’échelle individuelle au lieu d’en faire un débat collectif vers l’évolution de notre système alimentaire.
Offrir une réponse systémique aux problématiques sociales, agricoles et nutritionnelles, dans une démarche de démocratie alimentaire, défendre le droit à l’alimentation, défendre les principes originels de la Sécurité sociale, cet extraordinaire conquis social, la FSU a toute sa place dans les objectifs du collectif Pour une sécurité sociale de l’alimentation !
1. « Façon dont les hommes s’organisent dans l’espace et dans le temps pour obtenir et consommer leur nourriture » (Malassis, 1994).
2. https://cna-alimentation.fr/wpcontent/uploads/2022/10/CNA_Avis91_precarite_alimentaire.pdf
3. https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/textes/l17b0386_proposition-loi#