Écoles à 50°C – c’est quoi le plan ?

Chaque année, les températures explosent dans les bâtiments scolaires, mettant à rude épreuve les personnels comme les élèves. La réglementation actuelle est muettesur la question, il est urgent pour les syndicats de proposer des solutions.

Par Julien Rivoire
Fin mai, les 50°C sont dépassés en Inde et au sud du Mexique. À New Delhi, les écoles ferment, rappelant combien les dérèglements climatiques s’accélèrent et bouleversent le quotidien. Parmi les plus vulnérables, les jeunes enfants, notamment dans des quartiers urbains densément peuplés, d’autant que les canicules s’accompagnent de pics de pollution de l’air. Mais les travailleur·ses, quel que soit leur domaine d’activité, sont également en danger. Le syndicalisme doit d’urgence se saisir de ces enjeux de travail sous forte chaleur et apporter des réponses qui protègent sans accentuer les méfaits environnementaux.

Un accès à la fraîcheur pourrait se traduire par un plan de climatisation des écoles. Elle est cependant un exemple caractéristique d’une fausse solution qui entraîne une mauvaise adaptation. En effet, l’étude de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses1) montre que la climatisation a des impacts directs, un écart de température trop important (supérieur à 7°C) pouvant causer des douleurs musculaires, des maladies infectieuses ou respiratoires. De plus, elle assèche l’air, perturbant le fonctionnement du système respiratoire. Enfin, la climatisation contribue au phénomène d’îlot de chaleur urbaine en rejetant la chaleur des bâtiments dans les rues et ne favorise pas la sobriété énergétique. Ainsi ne devrait-elle être envisagée que comme une solution ultime.

Réponses systémiques nécessaires

Les fortes chaleurs nous obligent à imaginer une combinaison de changements structurels et organisationnels. Si la rénovation des bâtiments fait l’objet d’un large consensus, les réponses organisationnelles aux urgences constituent un angle mort des politiques publiques.

Les Codes du travail et de la fonction publique ne fixent pas de température maximale pour travailler et ne donnent pas de définition de la « canicule »2. L’évaluation des risques liés aux « températures élevées ou extrêmes » est renvoyée à l’employeur·se qui doit « mettre en œuvre toutes les mesures nécessaires » (aménagement des locaux et des postes de travail, des horaires, distribution d’eau, etc.) pour assurer la protection des salarié·es3. L’employeur·se peut décider de l’arrêt du travail, quitte à récupérer les heures perdues. Les travailleur·ses peuvent exercer leur droit de retrait si une situation présente un « danger grave et imminent pour leur vie ou leur santé́ »4. Une telle réglementation, sans obligations ni sanctions prévues, conduit bien souvent à une faible prise en charge de cette responsabilité. Or, il est possible de réglementer davantage les conditions d’exercice du travail sous fortes chaleurs, comme c’est le cas en Belgique, en Espagne et à Chypre.

La question climatique fait l’objet d’une lutte de cadrage pour dédouaner les principaux responsables et individualiser les réponses. Ainsi, à l’instar des écogestes, les politiques publiques se résument souvent à une action pour faire évoluer les comportements. L’individu doit se doter de « bonnes pratiques » (boire régulièrement, se vêtir de manière adaptée), indiquer s’il ne se sent plus en capacité de travailler (y compris par la mobilisation du droit de retrait). Autant d’indications que l’on retrouve dans les guides ministériels qui font fi des rapports sociaux inhérents à la relation de subordination salariale, à l’implication des agent.es des services publics dans leur travail (l’attachement à la continuité du service public par exemple), à certaines cultures professionnelles de valorisation de la résistance à l’effort, mais également au fait qu’une fois atteintes, les limites corporelles ne nécessitent plus une action préventive mais curative, signe par ailleurs de l’échec de la démarche de prévention.

Organisation du travail

Pourtant, il serait possible de s’appuyer sur les recommandations de l’Institut national de recherche et de sécurité (INRS) pour construire une réelle démarche de prévention : « il est possible d’agir sur l’organisation du travail (augmentation de la fréquence des pauses, limitation du travail physique, rotation des tâches…), l’aménagement des locaux (zones de repos climatisées, ventilation), les matériels et les équipements en associant les représentants du personnel et le service de santé au travail. » Le ministère de l’Éducation nationale délivre quant à lui quelques recommandations6 qui, pour certaines, s’inscrivent dans la même perspective (informer les élèves et personnels des bons comportements à adopter, et le sempiternel numéro vert), et d’autres touchent à l’organisation collective. Nombre d’entre elles se heurtent au manque de moyens. Ainsi, il est indiqué de fermer les volets (quand ils existent), identifier les locaux les plus exposés et adapter l’organisation et l’utilisation des espaces en fonction de l’exposition (alors que la plupart des cités scolaires souffrent d’un manque d’espaces), ou encore, rafraîchir les locaux la nuit en ouvrant des fenêtres (sans les moyens humains nécessaires).

Quelle réponse syndicale ?

Notre démarche doit s’appuyer sur les collectifs de travail et la professionnalité des agent·es. Construire un protocole qui détaille l’organisation, l’adaptation des activités scolaires et de leur contenu, en cas de chaleur intense. Dégager du temps de travail d’équipe dédié à l’élaboration de plans locaux au niveau de la commune pour qu’ils soient construits par les acteur·rices qui les mettront en œuvre et pour harmoniser sur la commune l’organisation des écoles en cas d’alerte (éventuelles adaptations des horaires, coordination avec le périscolaire, les transports scolaires).

Une action sur les conditions de vie dans les écoles doit être menée sans attendre les rénovations complètes nécessaires. Cela inclut la mise à disposition de thermomètres et l’installation de dispositifs de rafraîchissement tels que des brumisateurs, des points d’eau et des ombrières dans les cours. Des systèmes de brassage de l’air peuvent être installés comme alternative à la climatisation. Ce qui n’empêche pas les communes de garantir l’existence d’une grande pièce fraîche par école (y compris par de la climatisation). Enfin, une dimension souvent ignorée réside dans la nécessaire présence de personnels stables et en nombre suffisant pour faire face à l’incertitude des dérèglements. En effet, cela offre une plus grande capacité à organiser collectivement la réaction, à imaginer des scénarios alternatifs, en s’appuyant sur des personnels formé·es et maîtrisant les spécificités et les ressources du territoire. Des plans d’adaptation aux fortes chaleurs seront d’autant plus efficaces qu’ils seront construits par les personnels qui auront à les mettre en œuvre.

La météo de ce printemps en métropole n’a rien à voir avec le climat : le mois de mai 2024 est le plus chaud jamais enregistré, comme les 13 mois précédents. N’attendons pas pour imposer nos revendications pour construire des plans d’adaptation aux fortes chaleurs, pour les écoles, et plus globalement pour l’ensemble des services publics.

1. AFSSE. Impacts sanitaires et énergétiques des installations de climatisation — Établissements de santé. Établissements accueillant des personnes âgées. Mai 2004.

2. Pour Météo France, une canicule est une « période de chaleur intense pendant trois jours et trois nuits consécutifs avec un risque sanitaire notamment pour les populations fragiles ou surexposées ce qui correspond à un niveau de vigilance météorologique orange ».

3. Voir l’article L. 4 121-1 du Code du travail.

4. Voir les articles 4131-1 4131-4 du Code du travail.

5. Eurogip, Travail par forte chaleur et canicule : quelles législations et actions de prévention à l’international ? juin 2023.

6. Recommandations aux directeurs d’école et chefs d’établissement pour prévenir les effets de la canicule, sept. 2023.