Depuis les annonces de Attal en décembre, nous avons gagné la bataille idéologique contre la réforme dite du « choc des savoirs » : les principes qui la sous-tendent sont massivement rejetés par les personnels et les parents d’élèves. Cependant, ce rejet se traduit par une lutte inégalement répartie sur le territoire et selon les secteurs d’enseignement. Pour mieux faire échec à la réforme, nous proposons de tirer un bilan d’étape de la mobilisation, et d’en tracer des perspectives.
Par Annabel Cattoni, Laurence Laborde, Jordi Le Cointe et Olivier Thiébaut
Au-delà de la Seine-Saint-Denis, des mobilisations importantes contre le choc des savoirs ont émergé, par exemple en Loire-Atlantique. Dans ce département, la mobilisation a fédéré (et fédère encore) plusieurs milliers de personnels et parents d’élèves. Ce relatif succès s’inscrit dans un contexte départemental favorable, avec des habitudes de travail fortes au niveau fédéral et intersyndical. Dès janvier, les réunions de secteurs géographiques à l’initiative des personnels du second degré ont fleuri. Les organisations syndicales, la FSU en premier lieu, ont veillé à rendre visibles, faciliter et fédérer les mobilisations auto-organisées. Les AG de grévistes, fournies, ont appelé à reconduire sur plusieurs jours autour des dates nationales en février et mars. Ces reconductions ont été assez significatives pour entraîner des équipes moins habituellement mobilisées. Dans le premier degré, les personnels se sont surtout engagé·es dans les premières mobilisations car elles s’inscrivaient dans une proposition de calendrier contre les conditions de travail dégradées notamment à cause de l’inclusion sans moyen suffisant.
C’est assez exceptionnel pour le souligner, l’ampleur et la durée de la mobilisation s’expliquent aussi par l’engagement des parents d’élèves en son sein, parfois sur leurs propres mots d’ordre : « collèges morts », blocages d’établissements, nuits des écoles, rap Tu nous casses l’école1… Les parents du groupe Whatsapp ont été à l’initiative d’une réunion publique coorganisée avec l’intersyndicale, qui a réuni environ 600 personnes à Nantes en avril, de plusieurs manifestations parents-personnels les samedis matin, d’un recours contre l’arrêté du 15 mars 2024 instituant les groupes de niveau, d’un vade-mecum pour l’action en CA, d’une rencontre avec les élu·es, ou d’un appel aux cadres de l’éducation qui vient d’être publié dans Le Monde de l’éducation.
Des points d’appui, mais aussi des freins
Dans d’autres régions, la mobilisation a peiné ou n’a pas réellement démarré. L’Yonne au nord de l’académie de Dijon en a été un exemple. Les équipes militantes y sont réduites, avec une majeure partie d’établissements sans section syndicale structurée. Le travail d’information a été mené et a plutôt porté ses fruits, ce qui était loin d’être gagné dans un département où les idées réactionnaires trouvent un écho y compris dans les salles des professeur·es. Néanmoins, le sentiment d’isolement pèse sur des personnels qui se mobilisent surtout pour des luttes locales, comme le 6 février où la journée d’action avait été réussie car ses mots d’ordre portaient aussi sur les fermetures de classes ou de postes. La position des personnels de direction a également pesé, diffusant l’idée que les groupes de niveau ne seraient pas réellement appliqués. Pour préserver des forces militantes limitées, sans réel appui dans un département où les autres syndicats de transformation sociale sont encore plus faibles et les associations de parents d’élèves inexistantes, le Snes-FSU départemental s’est vite replié sur la stratégie du « grain de sable ». S’il appartient aux militant·es d’organiser le mouvement social, lorsque les équipes sont limitées, elles peuvent difficilement se passer d’une impulsion nationale encourageant l’élaboration d’un mouvement d’ampleur.
C’est tout le difficile rôle de la FSU. Malheureusement, les « gros » syndicats ont pu parfois jouer leur partition en solistes, comme lors de la grève du 6 février. L’absence de coordination fédérale a provoqué des tensions et brouillé le message. De même, SUD et la CGT étaient les seuls appelant au 14 mai, au moment où le Snes-FSU lançait son opération « grain de sable ». Cela a pu être interprété comme le signal que la mobilisation dans la rue avait fait long feu.
Élargir au lycée et au premier degré
La mobilisation a eu du mal à décoller en lycée, où les mesures « choc des savoirs » restent moins directement palpables… pour le moment ! Tout d’abord, les groupes de niveau vont cannibaliser les moyens de remplacement déjà insuffisants et annoncent des suppressions de postes si un nombre encore plus important d’élèves est empêché d’accéder aux savoirs complexes dès la sixième, puis d’accéder au lycée avec un brevet passage à niveaux. De plus, les mesures du choc des savoirs, c’est aussi la prépa seconde, la labellisation des manuels, la réforme des programmes, la caporalisation des pratiques enseignantes… Ils seront dévastateurs au lycée aussi. Ce message a été insuffisamment porté même si des outils ont récemment été mis à disposition des militant·es.
Il n’est pas trop tard non plus dans le premier degré. En effet, outre les suppressions de postes pour financer les groupes de niveau, des collègues ont été encouragé·es, y compris dans les départements dont les effectifs de professeur·es des écoles sont déjà insuffisants, à demander leur détachement pour enseigner en collège (ou à défaut à le faire en signant un pacte). C’est une nouvelle mise en concurrence des enseignant·es du primaire et du secondaire.
Résister, désobéir
En plus des grèves, manifestations, pétitions, motions, le mouvement se construit sur des actes de résistance locale. Ainsi, les formations pour les professeur·es de lettres et de mathématiques ont permis de montrer l’opposition à la réforme, que les inspecteur·rices portent parfois bien mollement. Dans des conseils écoles collèges, de nombreux·ses collègues ont refusé l’injonction au tri. Dans beaucoup de collèges, les compétences du conseil d’administration ont été utilisées pour permettre le vote de délibérations et de ventilations de dotations horaires. Ce gros travail syndical repose cependant sur la pugnacité des collègues sur le terrain.
Les conseils d’école sont aussi le théâtre d’actions. Les motions qui y sont portées par les parents et les personnels demandent un moratoire sur les nouveaux programmes, l’abandon de la labellisation des manuels et des évaluations nationales. Ces dernières sont d’ailleurs l’objet d’une pétition intersyndicale demandant leur abandon2. Lors de son dernier conseil national, la FSU-SNUipp a appelé à les boycotter. Cette initiative est proposée à l’ensemble des syndicats de l’éducation.
Construire une mobilisation de rentrée
Septembre 2024 est inévitablement le prochain moment clé de la lutte contre la réforme. Les collègues mais aussi les familles vont être confronté·es à sa concrétisation. La rentrée, avec sa couverture médiatique soutenue, et la phase de mise en œuvre des évaluations nationales annuelles, représente une des dernières possibilités de mobiliser. Bien évidemment, une lutte en septembre est difficile à construire. Elle est déjà sous-entendue depuis plusieurs mois avec l’idée de ne pas faire la rentrée (notamment par la FSU-SNUipp). Il faudra donc pour les personnels mobilisé·es se saisir de la prérentrée, des actes de résistances du mois de juin et des collectifs déjà créés lors des mois de lutte précédents pour relancer le mouvement sur une forme inédite de grève de rentrée.
L’implication des parents d’élèves : l’exemple de la Gironde
Les parents ont souvent été très actif·ves lors des opérations type « collège mort ». La FCPE 33 s’est aussi mobilisée pour mettre en lumière auprès des parents la réalité d’une réforme profondément inégalitaire. Sa présidente, Corinne Devaux, a réuni les parents des futur·es sixièmes de son secteur pour présenter le collège et montrer comment son fonctionnement et ses missions allaient être impactés. Elle pense s’inspirer de la FCPE 94 qui distribue des tracts dans les supermarchés.
Notes ;
- https://www.lemonde.fr/societe/article/2024/05/28/dans-l-interet-de-nos-enfants-de-vos-enfants-ne-laissons-pas-l-ecole-publique-faire-un-grand-bond-en-arriere_6235931_3224.html 2. 2. https://lapetition.fr/arret-evaluations-obligatoires-imposees