La Nouvelle Calédonie est toujours une colonie française
Le passage en force du « dégel » des listes électorales en Kanaky-Nouvelle-Calédonie, et l’examen du projet de loi le visant, ont entraîné une vague de violence inédite sur l’île depuis les années 1980.
L’humiliation politique du peuple Kanak a embrasé l’île extrêmement rapidement : bâtiments, magasins incendiés et/ou pillés à Nouméa et dans les environs. Ces scènes de chaos ont déjà causé la mort. de 6 personnes : 2 gendarmes dont au moins un a été tué par les tirs d’un·e collègue, 4 jeunes kanaks tués par des loyalistes armé·es.
Dans le contexte d’une réalité territoriale où les inégalités sociales et raciales explosent et touchent majoritairement leur jeunesse, les Kanaks s’opposent à ce changement constitutionnel qui augmenterait encore les inégalités et détruirait tout espoir de décolonisation. Trente ans après les Accords de Nouméa, les inégalités restent très importantes et la priorité locale à l’emploi non-respectée : dans beaucoup de secteurs, ce sont les immigré·es de l’hexagone récemment arrivé·es en Nouvelle Calédonie, du fait de conditions attractives (niveau de salaire et indexation, avantages en terme de logement ou de soutien à l’installation), qui occupent des postes au détriment des travailleurs et travailleuses Kanak·es à compétences égales. Ainsi se perpétue une longue tradition de privilèges offerts aux Français d’hexagone partant travailler en Outre-mer.
La mise en place de milices – habitant·es armé·es décidé·es à protéger « leur île »- en réalité leur situation de privilégié·es-, chauffé·es à blanc par le discours anti-indépendantiste et les dits loyalistes rappelle la présence de l’ordre colonial, une réalité qui explique cette insurrection, y compris ces formes violentes.
La Nouvelle Calédonie est toujours une colonie française, c’est une réalité matérielle et une continuité historique : occupation militaire, politique d’installation de colons, spoliation des terres, racisme, massacres et violences diverses qui ont jalonné ces 171 années d’occupation. L’inscription du pays sur la liste des territoires à décoloniser de l’ONU depuis 1986 vient rappeler cette évidence.
La méthode Macron : la continuité d’une pensée coloniale, humiliante , violente.
Le « corps électoral figé » était un point central des accords de Matignon, puis de Nouméa. Il n’était pas un ajustement technique mais le fondement du processus de paix. S’attaquer frontalement au corps électoral, c’est opérer symboliquement une forme de reconolisation et balayer près de quarante ans d’un travail politique. Avec cette réforme constitutionnelle, tout·e français·e installé·e depuis 10 ans en Nouvelle-Calédonie, devient électeur ou électrice aux élections provinciales, éligible au Congrès et, de facto, citoyen·ne calédonien·ne. Si les indépendantistes sont d’accord pour reconnaître un « droit du sol » aux enfants né·es en Nouvelle-Calédonie, iels s’opposent à l’idée d’un corps électoral glissant pour désigner leurs représentant·es aux assemblées de province qui déterminent les orientations politiques locales.
Déjà en 2019, Emmanuel Macron et l’État français ont décidé de s’allier sans condition, avec les partis au pouvoir, avec la droite et l’extrême droite anti-indépendantiste qui allait jusqu’à défendre le projet sécessionniste d’une « partition » de la Nouvelle-Calédonie.
En 2021, les responsables politiques Kanak avaient dénoncé le refus de Macron de reporter le troisième référendum d’auto-détermination au lendemain de la crise sanitaire qui avait pesé fortement sur l’ïle. L’obsession d’Emmanuel Macron, plusieurs fois répétée, est «d’ aller vite » : cette obsession est lourde de (non) sens dans le cadre d’un processus institutionnel où la question du temps a depuis le départ été un enjeu central, permettant dialogue et de rapprochement réciproque entre les protagonistes. Elle est révélatrice de la volonté politique profonde de l’exécutif : garder la main sur les ressources minières importantes de ce territoire et la possibilité militaire de se projeter dans un pacifique où les tensions sont récurrentes.
Il s’agit bien d’une succession des coups de force de l’exécutif français sur le dossier de la Kanaky-Nouvelle-Calédonie. La crise d’ aujourd’hui est une conséquence directe de la volonté délibérée de Macron de torpiller un processus politique unique et novateur qui irrémédiablement éloignait, mais d’une manière acceptable pour les parties prenantes, la Nouvelle-Calédonie de la France.
Notre engagement anticolonialiste, qui est celui d’une partie du mouvement syndical nous conduit à soutenir celleux qui luttent pour leur indépendance, et à être solidaires contre la répression actuelle : Nous opposons à cette seule réponse du gouvernement français, le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes.
Sophie Zafari