Loin d’une incohérence entre réformes relevant de logiques libérales et mesures réactionnaires flattant la droite extrême, l’école macronienne, de Blanquer à Belloubet en passant par Attal ou AOC, articule ces dimensions pour parachever une école du maintien de l’ordre inégalitaire établi.
Par Laurence de Cock
Il faut le dire, l’école d’Emmanuel Macron est une réussite à bien des égards. D’abord parce que le projet éducatif qui la sous-tend a un but concret, clair, franc ; ensuite parce que l’école qu’il dessine s’incarne dans une succession d’images qui lui donnent une réalité. De la sorte, l’école macronienne rompt avec l’habitude prise de camoufler le fond des réformes derrière un vocabulaire technocratique, spécialisé, accessible uniquement aux initié·es. Désormais, le public peut se représenter l’école de demain et, mieux encore, savourer son petit air de photographie sépia.
Une école qui se tient sage
Car dans cette école, les enfants sont sages (parce que « re-civilisé·es ») avec de mignons uniformes et pas de dangereuses abayas. Iels sourient, sont heureux·euses et se dandinent sur la Marseillaise avec une main sur le cœur. Iels se ressemblent, ces enfants. Encore plus depuis qu’iels sont séparé·es selon leur niveau et que rien ne vient freiner les meilleur·es d’entre elles et eux. Iels se préparent à affronter les transformations du monde grâce à une sensibilisation à la magie des entreprises dès l’âge de 12 ans et en communiant ensemble devant un lever de drapeau lors du service national universel (SNU). À celleux qui oseront l’ouvrir un peu trop, on répondra « laïcité ». Dans cette école, plus question de laxisme non plus, comme au bon vieux temps, dit-on ; exit l’enfant-roi, vive le marcher-droit.
Ces images sont fortes, elles s’impriment en nous et font les délices des chaînes d’information continue. Pendant ce temps, rien ou presque ne se dit du fond, de ce qui arrive à l’école publique, de sa destruction. Bien sûr, la gauche réagit. Elle envoie du « réac » par-ci, de l’« école à papa » par-là. Mais le projet macronien est-il réductible à une vision passéiste et surannée de l’école ? Sur le plan stratégique, le réduire à ça n’est pas efficace. Le passé rassure, surtout quand il concerne l’école, parce qu’il active des madeleines de Proust. Sur le fond, le projet mérite un décryptage plus subtil. Car derrière les belles images se cache un vrai danger.
« Voilà une classe qui se tient sage », se réjouit le policier qui tient en joue des lycéen·nes à genoux à Mantes-la-Jolie, le 6 décembre 2018. Tout est concentré dans cette scène : des enfants réduit·es au silence, des corps sous contrôle, des enseignant·es remplacé·es par des gardien·nes de l’ordre. Blanquer, le pyromane de l’école publique, venait de prendre ses fonctions. Main dans la main avec la police, il n’adressait pas seulement un message à la jeunesse des quartiers populaires, il regardait aussi les enseignant·es dans les yeux pour sonner une prétendue fin de récré.
Depuis, c’est à grande vitesse et avec la brutalité d’un bulldozer que les ministres successif·ves ont attaqué les fondations — déjà affaiblies — de l’école publique. Bien sûr, toutes et tous n’avaient que la formule « égalité des chances » à la bouche au moment de leur prise de fonction, mais la cascade de décisions qui s’est ensuivie allait dans un sens tout à fait contraire à la boussole de démocratisation scolaire.
On parle de celle-ci pour désigner la possibilité pour tou·tes les élèves, quelles que soient leurs origines sociales, culturelles, géographiques ou leur identité de genre, d’accomplir la trajectoire scolaire de leur choix. C’est une gageure difficile sur laquelle la France, il est vrai, se casse le nez depuis longtemps. Mais c’est un objectif, un cap. Toutes les décisions de la Macronie en ont pris le contre-pied, au point que l’on peut parler de contre-démocratisation scolaire.
Où chacun·e reste à sa place
Commençons par le lycée et l’instauration de Parcoursup qui affecte les bachelier·es dans des formations universitaires selon des critères algorithmiques, ce qui génère du stress dès l’entrée au lycée et des inégalités fortes, puisque les écoles et universités ont accès au lycée d’origine des élèves. Le lycée toujours, avec une réforme (détricotée en partie depuis) dont on a vu les effets catastrophiques sur le niveau en mathématiques des jeunes, a fortiori des filles. Le lycée enfin, professionnel cette fois, où l’Éducation nationale, après avoir réduit d’un tiers les enseignements généraux, se déleste de sa responsabilité éducative sur le monde de l’entreprise en rallongeant le temps de stage et en favorisant l’apprentissage qui ne relève plus de ses compétences mais du ministère du Travail. Il n’est donc désormais plus possible pour un·e lycéen·ne de se déterminer pour son orientation en tâtonnant, en se trompant. Tout doit être prédéterminé dès le collège. L’université s’est en outre fermée aux étudiant·es issu·es des bacs professionnels.
En amont de la chaîne éducative, à l’école primaire, les choses ne sont guère plus réjouissantes. En imposant la scolarisation obligatoire dès l’âge de trois ans, Blanquer a fait un énorme cadeau aux écoles privées, car les maternelles publiques ne sont pas en capacité d’accueillir tou·tes les enfants. À l’école élémentaire, on a vu rejaillir le culte de l’évaluation et du classement, menant à l’assignation des tout-petits à un niveau scolaire présenté comme une donnée probante, et donc à l’intériorisation prématurée par certain·es enfants de leur incapacité à faire mieux. Les enseignant·es ont, de leur côté, reçu des directives pédagogiques, piétinant au passage le principe de liberté pédagogique et les préparant au « choc des savoirs » promu par Gabriel Attal quelques temps plus tard. Pour éviter toute contestation, la loi Blanquer a rappelé les enseignant·es à leur devoir d’exemplarité. Depuis quelques années, les enseignant·es n’osent plus s’exprimer publiquement en leur nom et la répression syndicale retrouve une forme digne des grandes années de la chasse aux rouges (années 1930), désormais qualifié·es d’« islamo-gauchistes ».
Le second mandat d’Emmanuel Macron s’attaque désormais au collège en explosant le principe du collège unique par le biais de la réintroduction des groupes de niveaux. Avec cette mesure, le peu de vernis démocratique qui restait vient de craquer puisqu’il s’agit de l’officialisation d’une école à plusieurs vitesses comme projet politique. Celles et ceux qui répondent alors que, structurellement, l’école a toujours produit et reproduit les inégalités scolaires, ne mesurent pas qu’il s’agit ici d’un geste volontariste et donc d’une vision de l’école et d’un projet de société assumé. Le danger est précisément à cet endroit.
L’école macronienne n’est pas qu’un retour vers le passé, elle repose sur une vision de la société profondément inégalitaire et assumée comme telle ; une société policée dans laquelle chacun·e doit se placer selon son rang et selon les besoins du marché puis considérer sa place comme la plus juste qu’iel pourrait avoir. C’est exactement la définition du tri social. Un eugénisme scolaire qui ne dit pas son nom et paraît socialement acceptable parce que relooké par la start-up nation.