« Écoterrorisme » : terroriser les mouvements écologistes

ECOLOGIE

  • p. 32-33 du numéro 103 de la revue de l’Ecole Emancipée, par Julien Rivoire –

La tentative de dissolution des Soulèvements de la Terre (SDT) par Darmanin fait partie d’une stratégie internationale qui consiste à qualifier de terroristes les actions des militant.es écologistes pour les discréditer et laisser la voie libre à l’agrobusiness.

Le 5 juin 2023, la police antiterroriste intervient à l’aube dans huit communes dispersées sur le territoire national. Que peut bien justifier la mobilisation de dizaines de fonctionnaires de police au petit matin ? Rien moins que l’arrestation de 15 activistes écologistes ayant participé à une action contre la cimenterie de la Malle à Bouc-Bel-Air (Bouches-du-Rhône). Cette mobilisation des pouvoirs publics fait suite à la plainte du cimentier Lafarge, condamné aux États-Unis pour financement de terrorisme, et toujours sous instruction en France pour « financement de terrorisme » et « complicité de crimes contre l’humanité » (Lafarge a en effet versé près de 10 millions d’euros à l’État islamique). Et c’est ainsi que 15 activistes accusé·es d’avoir détruit un dispositif de vidéosurveillance et sectionné un tuyau d’alimentation sont arraché·es de leur lit et poursuivi·es par la justice. Loin d’être un événement isolé, cet acharnement à l’encontre des mouvements écologistes s’accentue ces derniers mois en France. En ce mois de septembre 2023, des activistes d’Attac et de Extinction Rébellion (XR) ont été jugé·es à Bobigny pour avoir bloqué l’aéroport du Bourget d’où décollent les jets privés. Huit militant·es ont été assigné·es au tribunal pour avoir organisé la manifestation contre les mégabassines à Sainte-Soline. Une commission parlementaire s’intéresse actuellement à des associations et syndicats « sur la structuration, le financement, les moyens et les modalités d’action des groupuscules auteurs de violences à l’occasion des manifestations et rassemblements intervenus entre le 16 mars et le 3 mai 2023 ainsi que sur le déroulement de ces manifestations et rassemblements ». Enfin, au plus haut niveau, c’est le gouvernement qui cherche à dissoudre le mouvement des Soulèvements de la Terre.

Aucun fait isolé, mais bien une stratégie d’ensemble dont l’objectif est de construire un climat de peur et de menaces pour les activistes, et de stigmatisation de ces mouvements pour le grand public. La répression judiciaire s’apparente à une stratégie bâillon. Dans une étude « Désobéissance environnementale et répression de l’activisme »(1), des étudiant·es de l’École de droit de Sciences Po ont étudié le sort réservé à cette désobéissance par les tribunaux. Selon elles et eux, « les poursuites sont de plus en plus fréquentes pour des faits mineurs », comme des tags ou de l’affichage, de même que « les gardes à vue pour manifestation ». Les sanctions, y compris financières, seraient de plus en plus élevées. « Plonger une personne dans un processus judiciaire assez long est une charge psychologique individuelle forte, de nature à décourager l’engagement », résume Aurélien Bouayad, enseignant-chercheur, qui a coordonné l’étude.

Une criminalisation internationale

Cette stratégie n’est pas propre aux macronistes. En effet, si Darmanin se permet de parler d’écoterroristes pour qualifier les manifestant·es écologistes, il n’invente rien mais reprend une terminologie étasunienne. Dès 2013 dans Green is the New Red, le journaliste étasunien Will Potter montre comment l’utilisation du qualificatif « terroriste » à l’encontre de militant·es écologistes a permis de mobiliser les dispositifs législatifs mis en place après le 11 septembre 2001 et a abouti à de lourdes condamnations. Selon lui, la stratégie relève de « trois domaines : juridique, législatif et (…) extra-juridique, ou de diffusion de la peur. Les tribunaux sont utilisés pour élargir la notion de “terrorisme” et condamner des activistes à des amendes ou des peines de prison disproportionnées. Le mot terroriste est utilisé très tôt, pour orienter l’opinion publique contre les accusés, avant même qu’ils n’aient posé les pieds au tribunal. En parallèle, certaines entreprises et des politiques font du lobbying pour que les nouvelles lois aillent encore plus loin. Le dernier élément – la diffusion de la peur – est peut-être le plus dangereux. Les stratégies actuelles – campagnes de presse, publicités, langage diabolisant ces activistes… – exploitent la peur et promeuvent une incarcération toujours plus fréquente de ces militants(2) »

Ces dernières années, cette stratégie se diffuse. En Australie, les lois se multiplient pour condamner les manifestant·es pacifiques : depuis 2022, bloquer une route peut conduire à un emprisonnement de 2 ans. En Grande-Bretagne, deux activistes ont écopé de 3 ans et de 2 ans et 7 mois de prison pour avoir bloqué un pont. À Berlin, le collectif Letzte Generation (dernière génération) qui participe à des blocages et des actions dans des musées est visé par plus de 2 500 procédures judiciaires. En juin dernier, la commissaire européenne aux droits de l’homme Dunja Mijatovi s’est émue de la criminalisation des mouvements écologistes en Europe(3).

Le capital contre l’écologie

Si les pouvoirs politiques sont les premiers acteurs de cette stratégie, celle-ci se met en place sous la pression du capital et de ses lobbys. Will Potter pointait, il y a dix ans, le rôle joué par plusieurs entreprises pour renforcer cette répression aux États-Unis. Comment ne pas faire le parallèle, en France, avec les interventions de la FNSEA en faveur de la dissolution des SDT. Alors qu’après les annonces de Darmanin le gouvernement temporise, voyant le risque politique d’un décret fragile juridiquement, le porte-parole du syndicat multiplie les interventions véhémentes et menaçantes. Ainsi : « L’impunité totale des Soulèvements de la Terre va conduire tout le monde à la guerre civile. La FNSEA, en responsabilité, appelle tout le monde au calme et à la retenue. Mais je suis obligé d’ajouter que je ne suis pas sûr de tenir longtemps mes troupes. J’espère que ce qui s’est passé dimanche [11 juin 2023 à Saint-Colomban] va sonner la fin d’une forme de mansuétude. Car un incident peut arriver. » (Le Point du 15 juin 2023). Pour qui connaît l’histoire agricole française, le poids politique de la FNSEA n’est pas une surprise. Mais le ministre actuel Marc Fesneau se révèle particulièrement zélé à appliquer tous les désidératas de l’agrobusiness.

La répression grandissante est la marque d’une conflictualité qui s’aiguise à mesure que les dégradations environnementales s’accélèrent. Ce n’est pas un hasard si les répressions sont liées à des entreprises ou des secteurs économiques particulièrement polluants, et qui ne tiennent pas leurs engagements. La contrainte écologique peut signifier la fin d’une rente pour certains secteurs. Or, les profits de court terme, particulièrement juteux dans l’industrie fossile ou l’agrobusiness depuis la guerre en Ukraine, s’accommodent mal des remises en cause des activistes écologiques. Le greenwashing peut être une option, mais certains secteurs ne semblent plus vouloir s’embarrasser de ces effets de manche alors que les gouvernements néolibéraux leur offrent une voie plus simple : criminaliser les mouvements écologiques et les faire taire pour engranger les profits. ■

Notes :

1. https://www.coe.int/fr/web/commissioner/-/crackdowns-on-peaceful-environmental-protests-should-stop-and-give-way-to-more-social-dialogue

2. « Après la chasse aux communistes, les États-Unis se lancent dans la traque

aux écologistes », 1er octobre 2013, Simon Gouin.

3. https://www.sciencespo.fr/ecole-de-droit/sites/

sciencespo.fr.ecole-de-droit/files/RAPPORT_CLINIQUE_JETE.pdf